Made in viande : une visite d’abattoir transparente comme du jus de boudin
- Article du Vendredi 19 mai 2017
Dans le cadre des rencontres Made in viande, l'abattoir de Montmorillon organise aujourd'hui une demi-journée portes ouvertes pour montrer qu'il n'a « rien à cacher ». Le public est ainsi invité à visiter ses installations – qui seront à l'arrêt, puisqu'il n'y aura pas d'animaux lors des visites.
L'abattoir ne cache pas qu’il cherche par cet événement à redorer un blason terni par les enquêtes de L214 : « Nous voulons rééquilibrer le discours anti-viande donné par des associations comme L214 ». Ouvrir grand ses portes au public devrait donc contrer « des images [qui] tournent en boucle, des livres [qui] sortent toutes les semaines ». C’est sans doute aussi pour se donner bonne presse que son responsable déclare dans une interview que l'abattoir donne « l'inconscience aux animaux : nous avons le matériel pour cela », faisant l’impasse sur les 10 % d’animaux tués de façon rituelle à Montmorillon, c’est-à-dire égorgés en pleine conscience sans être « étourdis » préalablement par un coup de pistolet qui leur fracasse le crâne.
« Nous voulons rééquilibrer le discours anti-viande donné par des associations comme L214. » En montrant un abattoir à l'arrêt ?
Visiter un abattoir à l’arrêt, silencieux, au carrelage rutilant, aux crochets et au tonneau d’égorgement vides, permet-il de se rendre compte de la tuerie organisée qui s’y déroule quotidiennement ? Chaque semaine, ce sont 520 bovins et un millier d'ovins qui sont abattus à Montmorillon. Mais lors de la journée portes ouvertes, vous ne verrez rien de tout cela.
Le responsable de l'abattoir dit lui-même, avec raison d’ailleurs (1) : « C'est un métier dur. Nous travaillons de façon industrielle dans l'eau, dans le sang. » Tuer des animaux à la chaîne, vaincre leur résistance, en égorger certains à vif, faire gicler le sang, le massacre est bruyant, sale, épuisant, dangereux. Et quand bien même des mises à mort seraient pratiquées en public (2), elles feraient évidemment l’objet d’attentions particulières, puisque justement l’objectif est de rassurer les visiteurs. L’INRA indique que dans les abattoirs français ce sont jusqu’à 16 % des bovins et 25 % des veaux qui reprennent conscience lors de la saignée (3) - quand d’autres sont égorgés directement en pleine conscience -, et on comprend que tous les abattoirs feraient des efforts pour éviter ces « ratés » en public.
« C'est un métier dur. Nous travaillons de façon industrielle dans l'eau, dans le sang. » Mais rien de tout cela ne sera montré.
Mais le discours se veut rassurant : « Le personnel qui s'en occupe a les certificats pour travailler avec le bétail vivant » - pourtant, l’employé qui s’amusait à donner des chocs électriques aux moutons à l’abattoir du Vigan était lui-même « responsable protection animale ». Pour prouver son désir de transparence, l'abattoir de Montmorillon explique aussi être favorable à la pose de caméras (4). Une mesure prise dans plusieurs établissement, pour lesquels la vidéosurveillance - réservée à un usage strictement interne - n'a permis d'empêcher aucune dérives, comme en a témoigné notre enquête à l’abattoir de Houdan.
Les portes-ouvertes s’annoncent sans risques, puisqu’il s’agit de visiter un abattoir immaculé et silencieux, sans cris de bêtes ou d’hommes, sans le bruit assourdissant des machines. Un abattoir mis pour quelques heures entre parenthèses, et avec une dégustation de viande en prime en fin de parcours.
« [Les caméras sont] un bon révélateur des dysfonctionnements. » Vraiment ? Alors que les associations de protection animale n'ont pas accès aux images ?
C’est à travers des événements de ce style que l’Interprofession du bétail et des viandes (Interbev) organise les rencontres Made in viande, qui promeuvent la consommation de viandes en donnant l’illusion que les animaux sont heureux dans les élevages, si ce n’est les abattoirs.
Et puis, quand bien même les animaux seraient heureux ? Matthieu Ricard vient juste de s’exprimer à ce sujet sur son blog :
« Imaginons que les animaux aient passé leur vie dans des prés fleuris, soient transportés en douceur vers des abattoirs accueillants et, sans la moindre frayeur, soient délicatement conduits le long de chaîne d’abattage par des ouvriers en pleine santé physique et mentale, bien payés et travaillant à un rythme confortable. Les animaux seraient tués instantanément et ne seraient dépecés qu’une fois bel et bien morts (aujourd'hui, 15 % des animaux meurent conscients, morceau par morceau). Tout cela serait parfaitement moral ? N’a-t-on pas oublié un point essentiel ? Le fait que nous tuons des êtres sensibles, sans véritable nécessité, sans provocation de leur part, sans qu’ils vous aient fait le moindre mal, en décidant unilatéralement où, quand et comment ils doivent mourir. Moral ? Expliquez-nous. »
Il nous appartient de refuser de participer au massacre des bêtes, et de nous tourner, dès maintenant, vers une alimentation éthique et sans cruauté.
(1) Au sujet de la pénibilité du travail en abattoir, lire notre note de blog Steak Machine.
(2) Inutile de croire que ces quelques heures de portes ouvertes épargneraient des animaux, un nombre plus grand sera simplement tué avant ou après.
(3) INRA, Douleurs animales. Les identifier, les comprendre, les limiter, chez les animaux d’élevage, 2009.
(4) Le 12 janvier 2017, en première lecture, l’Assemblée nationale a adopté une version réduite de la proposition de loi d’Olivier Falorni sur le “respect de l’animal en abattoir”. L’article L. 214-22. du code rural serait rédigé ainsi : “À compter du 1er janvier 2018 [...] des caméras sont installées dans tous les lieux d'acheminement, d'hébergement, d'immobilisation, d'étourdissement, d'abattage et de mise à mort des animaux.” La loi précise ensuite les conditions d’accès à ces images : « seuls ont accès aux images les services de contrôle vétérinaire et les responsables protection animale » sur ce dernier point, comprenez : des salariés désignés de l’abattoir. Cette loi n’est pas encore définitivement adoptée, elle doit encore être examinée par le Sénat.