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Elodie, la voix de la détermination

  • Article du Mercredi 3 septembre 2014

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L214 : Tu es végétarienne depuis longtemps ?

Elodie : J’avais 14 ans quand j’ai vu Earthlings * sur Internet en 2008, et j’ai tout de suite voulu devenir végétarienne, mais mes parents ont refusé pendant un an et demi. Ils me forçaient à me servir de la viande et ne me laissaient pas sortir de table avant que j’aie fini mon assiette. Ils me faisaient aussi du chantage, et parfois c’était même carrément musclé. En même temps, je ne me laissais pas faire et j’essayais tous les arguments, c’était souvent très frontal, dans les deux sens.

Pourquoi tes parents ne voulaient pas que tu deviennes végé ?

J’en ai un peu reparlé plus tard avec ma mère. Déjà, c’était une question d’autorité, puis il y avait la peur des carences – ils n’accordaient aucun crédit aux infos qui venaient d’Internet - enfin, au niveau pratique, ça leur semblait compliqué. Mon grand frère se moquait un peu de moi parce qu’avant je me battais avec lui pour avoir le plus gros morceau de steak ! Ma petite sœur aurait été réceptive, mais comme c’était déjà très compliqué pour moi, je ne voulais pas qu’elle subisse ça alors je n’essayais pas de la convaincre.

 

« Je pensais à l’animal à chaque morceau de viande. »

 

Pour ne pas renoncer à devenir végé malgré un an et demi d’interdiction, je me forçais à repenser à l’animal à chaque morceau de viande. Mes parents espéraient m’avoir à l’usure mais ma conviction n’a jamais failli. Lorsque mes parents sont partis en vacances une semaine, je suis restée avec une amie de la famille qui ne voulait pas être en conflit avec moi, alors j’ai enfin pu manger végétarien. À leur retour, j’avais pris de l’assurance et ils ont vu que j’allais bien quand même, et puis ma mère n’avait pas envie de revenir au rapport de force dès son retour. J’ai enfin pu manger végétarien.

 

Concrètement, ça se passait comment ?

Ça consistait juste à ne pas me servir de viande. Parfois les plats étaient cuisinés avec de la viande et je triais, ce n’était pas fantastique mais c’était déjà un grand progrès.

Quand ma sœur a eu 14 ans, je lui ai montré plein d’images et elle est progressivement devenue végétarienne. Comme je l’étais, mes parents ne pouvaient pas le lui refuser. Une amie à elle voulait l’être aussi, mais elle a eu tellement de pressions familiales qu’elle a abandonné. Aujourd’hui, ma mère mange encore un peu de viande mais uniquement à l’extérieur de chez elle ; mon départ de la maison et le fait que sesdeux filles soient végétariennes l'a probablement fait réfléchir. En fait, elle était sensible aux animaux : enfant, elle s’était attachée à un coq, et son père l’a tué et l’a forcée à le manger. Elle en avait été traumatisée.

Parle-nous de ton investissement pour les animaux.

C’est grâce aux Estivales de la Question animale que j’ai commencé à m’investir. D’ailleurs, en 2011, je suis devenue végétalienne après avoir été aux Estivales. Là, j’ai compris qu’on pouvait super bien manger végétalien, j’ai rencontré des personnes véganes sportives, d’autres âgées et en bonne santé, etc. J’ai compris que les végétariens pouvaient avoir sur les végans les mêmes préjugés que les viandistes sur les végétariens, qu’en fait c’était juste un autre pas à faire. J’y ai aussi pris des contacts et j’ai bien accroché sur L214, que je connaissais déjà un peu via Internet. À la même époque, j’ai découvert la vidéo de Gary Yourofsky et elle m’a vraiment touchée, même si elle est très naturaliste.

La première action à laquelle j’ai participé a été pour l’Abolition de la viande, et la seconde action… c’est moi qui l’ai organisée. Comme c’était la campagne Monoprix de L214, j’ai organisé une dizaine d’actions en moins d’une année.

« J’ai organisé les Estivales :
je ne pouvais pas supporter que cette
rencontre puisse être annulée
faute d’organisation »

En 2012, les Estivales risquaient d’être annulées faute de personnes pour les organiser. Or ça avait trop chamboulé ma vie, je ne pouvais pas admettre que ça risque de s’arrêter, et je les ai donc organisées en 2012, puis en 2013 et en 2014. Bien sûr, d’autres personnes étaient impliquées dans l’organisation, mais j’en ai fait une très grosse partie. Je me suis aussi investie par rapport au fameux décret cantine. J’aimerais pouvoir un jour projeter un film sur l’exploitation des animaux sur un mur dans la rue, et puis ce serait bien que plus de personnalités s’engagent pour les animaux.

Je crois que tu es bien impliquée aussi dans ta fac ?

En 2012, j’ai commencé à y coller des affiches, puis j’ai créé l’association Sentience en 2013. Sentience est subventionnée par la fac au niveau de la communication et l’adhésion est à deux euros. J’ai choisi le nom « Sentience » pour faire connaître ce mot, et ne pas avoir de nom avec « animal » évite potentiellement d'être mal vu par les institutions. Le plus dur a été de trouver les personnes prêtes à s’impliquer réellement, mais au fur et à mesure des actions, l’équipe s’est formée. On intervient par des conférences, collages, tractages…

« Coller des affiches montre que le débat
sur la question animale existe »

Fin 2013, on a organisé avec L214 une conférence-débat sur le foie gras. Ce sont surtout des gens déjà engagés qui sont venus, mais ça valait le coup rien que pour l’affichage qui montre que le débat sur la question animale est engagé. On a aussi organisé une journée sans viande, tenu des tables d’info et eu des retours de la presse.

Et par rapport à L214 ?

Je me suis pas mal investie au niveau du montage vidéo, j’ai par exemple réalisé le documentaire Viandes de France et sa version courte, Du pré à l’assiette, qui est notamment diffusé lors des Vegan Places. J’aime particulièrement les Vegan Place, parce qu’avec le visionnage de la vidéo on part d’une base concrète pour discuter.

« Aux Vegan Places,
montrer des vidéos permet
de partir d’une base concrète »

Les images marquent, c’est indéniable. Les actions avec des animaux morts ont aussi un impact visuel et symbolique très fort. En juin 2014, j’ai soutenu L214 en participant à la Course des héros, et je prends souvent des photos aux actions. En octobre, Sentience et L214 vont coéditer un livret de recettes qui ciblera les étudiants.

 

Quels sont tes projets ?

À la rentrée, je ferai ma licence 3 à Trois-Rivières, au Québec. J’ai choisi d’étudier les sciences cognitives car je trouvais ça super important de prendre acte des découvertes en éthologie cognitive par rapport à la vie mentale des animaux. Il faut faire savoir qu’ils ont des capacités cognitives développées, qu’ils sont sensibles et sentients. Le choc est brutal entre ce qu’ils pourraient vivre et ce qu’ils endurent dans les élevages. Mais pour l’instant mes études sont restées très axées sur les humains. Je connais une étudiante en éthologie qui s’attendait à trouver dans sa filière des gens sensibles aux animaux, voire même des végés, mais pas du tout, les gens veulent bosser dans des zoos, à l’INRA, etc. J’ai repéré un master 2 de droit animal à Barcelone, c’est peut-être une piste à suivre.

Tu vas continuer à militer au Québec ?

Je n’ai pas repéré d’assos pour les animaux à Trois-Rivières, c’est une petite ville, mais Montréal n’est pas trop loin et là, apparemment, ça bouge. D'ailleurs, il y aura le premier "Festival Végane" à Montréal, le 26 et 27 septembre. Je vais participer à une table ronde pour parler du mouvement animaliste en France. Et puis Sentience se développe avec de nouveaux groupes à Paris, Lausanne, Dublin, peut-être Grenoble et Amiens, qu’il faudra coordonner. Et, bien sûr, je continuerai à m’investir pour L214. Je parlerai de tout ça sur ma page FB !

Le mot de la fin ?

L’évolution dans ma famille me rend plutôt optimiste par rapport aux animaux. J’ai vraiment vu une évolution à travers mes parents et mes grands-parents : de carrément hostiles au végétarisme, ils ont progressivement cuisiné végétarien, puis végétalien, et aujourd’hui ils font même des gâteaux vegans. Mon grand-père est pessimiste, il me dit que je n’arriverai pas à changer le monde ; c’est comme s’il ne voyait pas les changements qui se sont opérés en lui, lui qui dans sa jeunesse tuait le cochon à la ferme et fait aujourd’hui des crêpes véganes ! Le changement ne s’est certes pas fait comme je l’aurais voulu, ça a pris du temps, mais il a quand même eu lieu, et c’est ça qui compte.


"Les animaux pensent-ils ?"

  • Article du Mercredi 3 septembre 2014

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De récentes et nombreuses découvertes scientifiques attestent que les animaux sont beaucoup plus intelligents qu’on ne le croyait. Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’un des nombreux reportages désormais consacré à ce sujet, comme celui actuellement diffusé sur Arte : « Les animaux pensent-ils ? ». Ce documentaire, réalisé en 2012, révèle quelques-unes des dernières découvertes concernant les aptitudes cognitives des animaux.

On découvre que la guenon chimpanzé Ai et son fils Ayumu sont capables de travailler sur des symboles aussi abstraits que des chiffres romains, et que leur mémoire numérique dépasse largement celle des étudiants humains qui se mesurent à eux.

On y voit des primates, mais aussi des corbeaux californiens et des choucas se servir d’outils, des cacatoès parvenir à ouvrir des mécanismes comprenant cinq systèmes de fermeture différents, une pie tenter d’enlever un gommette jaune fixée sous son bec (non visible pour elle) après s’être vue dans un miroir.

Tous ces exercices, et bien d’autres, attestent indubitablement que les animaux peuvent faire preuve de persévérance, d’habileté, d’innovation, de curiosité. Ils possèdent de grandes capacités d’apprentissage et n’hésitent pas, à l’instar des corbeaux, à transmettre à leurs petits de nouveaux savoirs, les transformant ainsi en savoir collectif de leur espèce. Mieux, il est désormais scientifiquement établi qu’ils sont capables de planifier leurs actions et d’avoir conscience de leur existence. À mille lieues des croyances de Descartes et de ses animaux-automates, les scientifiques ébahis découvrent que certains animaux, tels les chimpanzés, savent qu’ils savent quelque chose et évaluent leurs stratégies comportementales en fonction de ce critère. Ils possèdent une théorie de l’esprit et ils peuvent se mettre à la place de l’autre, ils savent ce que l’autre sait ou ignore. Autrement dit, les chimpanzés possèdent une des formes de conscience les plus complexes qui soit : la métacognition – qui était soi-disant jusqu’alors l’apanage des humains. Même des insectes possèdent une conscience immédiate.

De nombreux animaux, comme les pigeons, sont capables de former des catégories (encore une spécificité du genre humain qui s’effondre), or la catégorisation est ce qui nous permet d’ordonner intellectuellement notre environnement, de sortir du chaos qui nous entourerait sans cette faculté.

Indubitablement, nous ne sommes pas les rois de la création. Le professeur Gerhard Roth de l’université de Brême ajoute même : « Même si nous pouvons affirmer que nous sommes les plus intelligents, il n’est pas certain pour autant que nous soyons les plus sensés ».

Pourtant, comme le note avec justesse David Chauvet : « Peu de gens réalisent à quel point nos représentations de l’animal ont été bouleversées en trente ans, y compris par les éthologues eux-mêmes. L’animal est devenu un sujet, non pas parce que nos projections populaires et affectives nous le font voir ainsi, mais parce que les travaux scientifiques les plus modernes ne nous laissent pas le choix. [Pourtant] on ne nous enseigne pas que les animaux sont des êtres conscients. [...] Il n’est donc pas exagéré de dire que les connaissances populaires sur les animaux accusent un retard d’une trentaine d’années. » (1)

Même les scientifiques qui étudient les animaux et s’émerveillent de leurs capacités restent pour l’instant incroyablement timorés. Forts de leurs découvertes, ils devraient exiger que la place accordée aux animaux dans nos sociétés soit radicalement revue. Certes, il y a eu la Déclaration de Cambridge où, en 2012, un groupe international d’éminents chercheurs, spécialisés dans différentes disciplines neurologiques, a affirmé que : « La force des preuves nous amène à conclure que les humains ne sont pas seuls à posséder les substrats neurologiques de la conscience. Des animaux non humains, notamment l’ensemble des mammifères et des oiseaux ainsi que de nombreuses autres espèces telles que les pieuvres, possèdent également ces substrats neurologiques. »

Mais des millions, des milliards d’animaux continuent de souffrir à travers le monde comme si de rien n’était. Privés d’éléments aussi vitaux et élémentaires que l’espace, la lumière, l’air frais, les rapports sociaux, ils servent à fournir de la viande, de la fourrure, à divertir des humains dans une arène, un cirque, lors d’une partie de chasse, quand ils ne sont pas tués à petit feu dans des laboratoires ou agonisent pendant des heures sur les ponts des bateaux.

En regardant « Les animaux pensent-ils ? », on réalise d’ailleurs qu’à peu près rien ne nous est dit des conditions de vie des animaux étudiés par les scientifiques. Des bribes de phrases, des insinuations, nous font comprendre que certains ont probablement été capturés dans leur habitat naturel, que d’autres sont déplacés d’un centre à un autre au gré des besoins des chercheurs, au mépris de leurs liens sociaux. Quelles sont leurs conditions d’enfermement dans les centres de recherches ? Qu’est-il arrivé au corbeau qui est en partie déplumé ? Ces animaux ne s’ennuient-ils pas ? Ne sont-ils pas en partie sacrifiés pour satisfaire la curiosité humaine ? Frans de Waal, professeur de psychologie, s’interroge quant à lui sur la façon dont sont menées ces recherches et souligne comment les animaux y ont très souvent été, et peuvent encore être, confrontés à des situations inadaptées à leur morphologie ou, plus simplement, à notre anthropocentrisme forcené.

Au-delà de l’intérêt évident que constituent ces recherches sur la conscience et l’intelligence des animaux, elles ne devraient pas faire perdre de vue que le plus important n’est peut-être pas le degré ni la forme d’intelligence, mais la capacité qu’ont les animaux de ressentir des émotions et la souffrance. Et elles devraient avoir pour perspective essentielle et urgente une réforme concrète du sort que nous réservons aux animaux.

Clèm Guyard

Rediffusion du documentaire "Les animaux pensent-ils ?" sur ARTE : dim 07.09.2014 à 9h45 (aussi sur Youtube)

(1) David Chauvet, La mentaphobie tue les animaux, Droits des Animaux, 2008, p. 28.