Lettre à Mathias
- Article du Jeudi 4 juillet 2013
Il y a quelques jours, nous avons reçu le récit d'un père. Son fils, un nouvel adhérent L214 âgé de 16 ans, a fait part à ses parents de son intention de ne plus consommer aucun produit d'origine animale, pour des raisons éthiques. Cette décision, que ses parents respectent, les a surpris car personne dans leur entourage n'est végétalien. C'est une réflexion personnelle qui l'a conduit à cette orientation qu'il respecte scrupuleusement en toutes circonstances pour l'ensemble des produits qu'il consomme (nourriture, habillement...). La famille habite un petit village où l'activité principale est l'élevage bovin.
La récente manifestation des éleveurs à Paris a inspiré ce père à écrire cette lettre, particulièrement destinée aux enfants, qui donne le point de vue d'une vache s'adressant à un enfant de 10 ans.
Bonne lecture !
Il suffira d'un signe
Lettre inspirée par Joséphine, vache à viande et à lait, âgée de 4 ans, adressée à Mathias, petit parisien de 10 ans, dont elle a croisé le regard à l’occasion de la marche des éleveurs, à Paris, le 23 juin 2013. Elle raconte son histoire et donne son point de vue de participante à cette manifestation.
Bonjour Mathias,
Je suis Joséphine, j’ai 4 ans et je vis près de Belley, dans les belles montagnes du Bugey. Je suis une vache.
Dimanche 23 juin 2013, Roger m’a « invité » à la marche des éleveurs, à Paris. Roger, c’est l’éleveur qui m’expl héberge, me nourrit, m’entretient, brave Roger.
Il n’est pas content, Roger. Rends-toi compte, à cause du mauvais temps qui a noyé les pâtures, gâché les foins et entravé les cultures, à cause de la fiscalité qui l’écrase, à cause des stupides règlements de l’Europe, à cause de la mondialisation, à cause du prix des céréales, du prix du carburant, à cause de la grande distribution, à cause, à cause… il est en train de mourir Roger. Il travaille pour des clous Roger ! Alors stop, tous à Paris, a-t-il dit à sa femme Bernadette, tous à la manif !
On était toutes là, ce 23 juin, sur le bitume et dans le bruit des rues de Paris, après un harassant voyage nocturne. Salers bouclées, Montbéliardes, Tarentaises, Charolaises blanches et Blondes d’Aquitaine, Aubracs roux clair, Normandes pie, pour ne parler que de mes sœurs les bêtes à cornes, plus belles les unes que les autres. Un vrai défilé de mode. Pour l’occasion Roger avait lissé mon pelage : il faut plaire aux Parisiens m’a-t-il dit, ce sont des Consommateurs, il faut les attendrir, leur montrer que la viande de France, c’est autre chose que le bœuf aux hormones des Américains. Il exhibait fièrement une magnifique banderole que lui avait préparée Bernadette : SANS AGRICULTURE PAS DE NOURRITURE
C’est vrai, sauf que la nourriture, c’est moi !
Je vais te parler un peu de moi
Je suis née le 5 mai 2009 sous le signe du Taureau. A peine née, on m’a enlevée à ma mère. J’ai été inséminée artificiellement, encore et encore. Bien sûr, comme à ma mère, on m’a enlevé mes petits pour me prendre mon lait, qui fait une excellent Comté (AOC) dit Roger. Je n’ai plus jamais plus entendu parler d’eux. Bientôt je prendrai le chemin de l’abattoir comme toutes mes sœurs, vaches à viande ou vaches à lait.
Excuse-moi de te parler des vaches, je suis bête : on est là pour défendre les éleveurs, pas pour s’apitoyer sur les vaches. Après tout, pourquoi se plaindre : ma vie est la banale destinée des animaux d’élevage.
Peut-être as-tu à la maison un chat, un chien ou même un lapin que tu câlines avec amour. Tu as vu que c’est un être sensible, capable de te donner de la tendresse, capable de te comprendre, d’éprouver de la peine ou de la joie, du bien-être ou de la souffrance. Comme toi et moi en somme ! La différence entre nous, c’est le groupe d’appartenance, comme disent les sociologues. Par exemple, pour simplifier, un chat appartient au groupe «animal familier», c’est une réserve de tendresse, une vache au groupe « animal d’élevage », c’est une réserve de nourriture et un homme au groupe « animal humain », c’est un consommateur.
Animal d'élevage (réserve de nourriture) - Animal familier (réserve de tendresse)
Selon les époques où les lieux, on peut changer de groupe : en Inde, par exemple, une vache est sacrée, ce n’est plus une réserve de nourriture. En Chine, on mange les chiens qui deviennent des animaux d’élevage. Jadis, tes lointains ancêtres se mangeaient parfois entre eux. Certains animaux, comme le lapin ou la poule par exemple, peuvent parfois s’inviter dans le groupe « animal familier », même si l’immense majorité reste des animaux d’élevage.
Tu me suis ? D’accord, c’est un peu compliqué, même en simplifiant.
Assez de discours, revenons à la manif
Tu as compris que Roger est un animal humain en colère qui exhibe son gagne-pain (c’est moi) dans les rues de Paris pour dire aux Français (aux consommateurs) : voyez cette belle vache, cette magnifique réserve de nourriture, si ça continue comme ça, vous n’en aurez plus !
Toi Mathias tu es dans le groupe des consommateurs. Les publicitaires aiment beaucoup les enfants : « les produits laitiers sont nos amis pour la vie ». Ou encore : « on n’a pas fini de vous faire aimer la viande ». Tu as sûrement entendu ces slogans. Aujourd’hui, c’est toi que les éleveurs veulent séduire, leur avenir dépend de toi. C’est pour toi qu’ils me font défiler à Paris sans me demander mon avis (manquerait plus que l’on prenne l’avis des vaches). D’ailleurs, tu aimes peut-être la viande, le fromage, les yaourts… Je n’ai jamais goûté, mais Roger dit que c’est très bon, surtout quand c’est Français bien sûr !
Les produits laitiers sont nos amis pour la vie, revu et corrigé par L214
Si tu montres cette lettre à tes parents, ils te diront probablement : « qu’est-ce que c’est que cette histoire ! Il faut bien se nourrir, on a toujours mangé de la viande, c’est notre culture, notre tradition, c’est indispensable à ta croissance, ça rend fort et puis c’est si bon un steak bien tendre, bien saignant. En plus, c’est bourré de protéines. Et si on ne mange plus de produits animaux, que vont devenir Roger et tous les éleveurs déjà bien mal en point ? » Ou encore : « assez de sensiblerie, il y a des problèmes plus graves que le sort des animaux d’élevage ! ».
Que peut-on répondre à ça ?
Je vais te confier un secret, ne le répète pas : cette lettre, ce n’est pas moi qui te l’adresse, je ne sais ni écrire ni parler la langue des animaux humains. J’ai demandé l’aide d’un ami, Véganou qui l’a écrite pour moi. Véganou c’est un humain comme toi, un frère, mon porte-parole. Un jour, j’ai croisé son regard, il a fait un pas vers moi, j’ai fait un pas vers lui. Il a décidé de ne plus consommer de produits d’origine animale. Il dit qu’il ne s’est jamais si bien porté que depuis ce jour-là. Au début, ses amis, ses parents ont trouvé ça étrange, stupide, ridicule, en un mot bizarre. D’ailleurs, il est bizarre Véganou, il parle aux vaches, c’est tout dire. Certains disent même qu’il est devenu « vachiste » comme d’autres se disent humanistes. Véganou n’aime pas que l’on dise ça. Il est certain qu’un jour tous les humains feront comme lui, que ce n’est pas seulement un choix personnel. J’espère qu’il ne se trompe pas et que ce jour ne sera pas trop lointain, car en attendant on va continuer à massacrer les animaux d’élevage. Sais-tu, pour finir, que chaque seconde, 1090 animaux sont abattus sur notre belle planète ?
Fragment de Joséphine, vache à viande et à lait, abattue à l’âge de 5 ans, aux prises avec un consommateur anonyme
Bon, je te quitte Mathias. Roger commence à se demander ce que je fais. Il ne faut pas oublier que je ne suis pas là pour bavarder, écrire des lettres ou visiter Paris. Je suis là pour sauver l‘élevage français, nom d’une bête à corne !
Joséphine