De quoi discutent vos poules ? Peut-être bien de vous.
- Article du Mardi 26 avril 2016
Par Sy Montgomery.
Au printemps, alors que les gens normaux écoutent la radio, des CDs ou de la musique sur leurs smartphones, j’écoute le babyphone.
Nous n’avons pourtant pas de bébé. Je m’en sers pour espionner les conversations de mes poules.
Je l’ai acheté pour entendre les appels au secours. Être une poule dans le New Hampshire rural est une entreprise risquée, à cause des renards, des coyotes, des chiens, des faucons et d’un tas d’autres prédateurs. Nos gallinacés sont au fait de tout cela, et si une poule aperçoit un danger elle s’empresse de prévenir ses semblables. Grâce au babyphone, c’est également le signal qui me permet de leur porter secours.
Elle ne s’exclament pas « prédateur ! », en réalité leurs cris sont plus précis que ça. Les cris d’alarme n’annoncent pas seulement l’espèce du prédateur repéré, mais aussi sa vitesse, sa taille et sa direction.
À l’université australienne Macquarie, le professeur de psychologie Chris Evans, ainsi que sa collègue et épouse Linda, ont identifié près de trente phrases utilisées par ces oiseaux pour transmettre des informations à leurs congénères. Par exemple, les coqs attirant les poules pour leur indiquer que la nourriture est particulièrement savoureuse. Les Evans ont également montré qu’un coq est plus prompt à prévenir le reste du groupe de la présence de leur nourriture favorite (le maïs) que lorsque qu’il s’agit de signaler la découverte de l’habituelle ration de nourriture.
Mais l’alimentation et les prédateurs ne sont pas les uniques sujets de conversation des poules. Il se pourrait qu’elles parlent également de nous.
En tout cas, c’est ce qu’il se passe dans le poulailler de Melissa Caughey à Osterville, Massachusetts. Elle est l’auteure de « A Kid’s Guide to Keeping Chickens » (« Guide pour l’élevage des poules à destination des enfants », NdT), ouvrage qui s’est récemment vu décerner un prix par l’Association américaine pour l’avancement des sciences. En observant ses dix poules dans leur enclos, Caughey mène de sérieuses études scientifiques et fait d’importantes découvertes. Elle m’a parlé de sa dernière trouvaille quand nous nous sommes rencontrées à Washington au mois de février, et cela m’a coupé le souffle :
Ses poules lui ont inventé un nom. Cela ressemble à ça : « Ba-BA-Ba-BAAAA ! ».
« J’étais dehors un matin » explique Caughey, quand elle a remarqué qu’Oyster Cracker, sa poule âgée de six ans et la plus ancienne parmi le poulailler, « s’adressait à moi sur un ton différent, un ton que je n’avais encore jamais entendu ». Oyster Cracker ne scandait pas l’usuelle salutation « Brup ? Brup ? » utilisée par les poules en guise de bonjour. Elle n’était pas non plus en train de déclarer « bwah, bwah, bwah » (ce qui veut dire « je suis sur le point de pondre un œuf », mais dans le cas d’Oyster Cracker c’est impossible : elle est ménopausée depuis bien longtemps). Non, Oyster Cracker disait clairement, insistant sur l’accentuation et le tempo jusqu’à la dernière note mais aussi la plus aigue, tout en fanfare, « Ba-BA-Ba-BAAAA ! » (vous pouvez l’entendre en cliquant ici).
« C’était assez triomphal » raconte Caughey, « presque autant que l’annonce de l’arrivée de la reine ! ». Puis elle a remarqué que les autres poules poussaient le même cri, mais seulement quand elles l’apercevaient pour la première fois. D’où sa conclusion : « quand elles me voient, elle disent mon nom ».
Ce n’est pas la première fois que des spécialistes décrivent des animaux utilisant des sons particuliers pour faire référence à une personne qui s’approche. Le professeur Con Slobodchikoff de la Northern Arizona University a remarqué que les chiens de prairie (rongeurs grégaires ressemblant à nos marmottes européennes, NdT) emploient des sons caractéristiques pour communiquer entre eux lorsqu’un humain est repéré. Ils échangent également à propos du danger que représentent les chats, les blaireaux, les faucons et les furets, et signalent la présence réconfortante des espèces inoffensives telles que les vaches ou les antilopes d’Amérique qui supposent un environnement sûr. Par ailleurs, ces petits mammifères peuvent signifier la couleur d’un tee-shirt porté par un humain, dire si ce dernier est petit ou grand et même indiquer s’il porte une arme !
Doter quelqu’un d’un nom particulier est différent, comme « Sue » ou dans le cas présent « Ba-BA-Ba-BAAAA ! ». On sait cependant que d’autres animaux utilisent des noms individuels. Des chercheurs écossais de l’université de St Andrews ont annoncé en 2000 que les dauphins se distinguaient les uns des autres par des noms, grâce à ce qu’ils appellent des « signatures sifflées ». Des études plus poussées concernant les dauphins sauvages en Afrique du Sud et en Floride, ainsi que des expériences sur des animaux captifs, ont prouvé que les dauphins font plus qu’inventer des noms. En effet, ils appellent le nom de leurs proches quand ils en sont séparés, de la même manière que vous appelez vos enfants ou vos amis lorsque vous êtes à leur recherche.
Les mammifères à gros cerveaux tels que les dauphins ne sont pas les seuls à utiliser des noms. En 2008, le scientifique Karl Berg a découvert que les perroquets sauvages adoptaient le même comportement. Les toui à croupion-vert du Venezuela utilisent des pépiements caractéristiques pour s’identifier entre eux. Ces oiseaux peuvent en effet s’adresser à d’autres perroquets : « Hey Jill, c’est Tom ! Ça te dit d’aller manger quelques fruits ? ». De plus, Berg a démontré que le nom des perroquets leur est assigné par leurs semblables : comme nous, ils sont nommés par leurs parents.
Que les perroquets à l’état sauvage aient des noms ne devrait pas surprendre grand monde. Ils apprennent facilement notre langage, pourquoi ne pourraient-ils pas avoir le leur ? L’intelligence des dauphins n’est plus à démontrer, car tout comme les chiens de prairie ce sont des mammifères comme nous. Mais les poules ? La plupart des gens les excluent d’entrée de jeu en les considérant comme stupides.
C’est pourtant une grossière erreur. Les poules, comme beaucoup d’autres animaux, disposent d’une plus grande intelligence que celle que l’on veut bien leur accorder. Des expériences scientifiques montrent qu’elles sont capables de reconnaître le visage d’au moins cent autres poules. Elles sont également capables de se remémorer le passé, d’anticiper le futur et disposent en outre d’une excellente mémoire spatiale.
Pour Caughey, il se peut que mes gallinacées m’aient donné un nom à moi aussi, et que toutes nos poules aient un nom pour chacune d’entre elles ainsi que pour les humains évoluant à leurs côtés. On peut s’interroger sur les autres espèces capables d’en faire de même : les éléphants, les loups, les corbeaux ? Et qu’en est-il des poissons ? Dans quelques années semble-t-il, il est fort probable que l’on fasse des découvertes concernant ces animaux là aussi.
« Les animaux transmettront leur sagesse » promet Melissa Caughey. « Encore faut-il tendre l’oreille ».
De mon côté, je reste à l’écoute du babyphone. Je vous ferai part de ce que je découvrirai.
Sy Montgomery est l'auteure de 20 livres sur les animaux, pour adultes et enfants.
Source : The Boston Globe
Traduit par Aurélien Lécuyer
crédit photos / portrait de poule : L214 ; poules perchées: Uber Prutser - creative commons ; poules en prairie: Katie Brady - creative commons