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Un éternel Treblinka, de Charles Patterson

  • Article du Mardi 12 mai 2020

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Et si la fin de l’oppression animale était une des clés pour mettre fin aux oppressions de l’humain sur l’humain ? Difficile de ne pas tirer cette conclusion après avoir refermé Un éternel Treblinka de l’historien et écrivain américain Charles Patterson, traduit de l’anglais par Dominique Letellier et publié en 2008 chez Calmann-Lévy. 

Les cruautés perpétrées par l’être humain sur les animaux ont largement servi de modèle à toutes les formes de barbarie. Voilà la thèse percutante de ce livre coup de poing qui suscita dès sa parution beaucoup de réactions, aussi bien positives que négatives. Dans cette enquête historique très bien sourcée, Patterson aborde en effet l’expérience encore récente et douloureuse de la Shoah qui, selon lui, n’aurait pas existé de la même façon sans l’exemple des abattoirs industriels.

Parce que l’histoire est toujours riche d’enseignements, laissez-vous embarquer avec ce livre pour un voyage dans le temps qui, s’il n’est pas sans secousses, ouvre de nouvelles perspectives pour l’avenir ! 

D’un asservissement à l’autre

Tout bascula il y a environ 11 000 ans au Proche-Orient, quand la transition vers l’agriculture et l’élevage engendra, dès le départ, l’exploitation systématique, forcée et violente, de certaines espèces d’animaux. Notre destin et le leur ont alors été bouleversés pour toujours. 

« La violation des droits des animaux a entraîné la violation des droits de l’homme » explique l’auteur qui, s’appuyant sur des études historiques, montre que l’asservissement des animaux aurait ouvert la voie à l’asservissement des êtres humains entre eux. Et quel meilleur moyen de justifier la domination et la destruction d’autres êtres humains que de les « bestialiser » ? Cette méthode universelle fut, par exemple, employée, lors de la Guerre du Pacifique, par les Américains contre les Japonais, qu’ils traitaient de « chiens jaunes », ou encore, pendant la guerre sino-japonaise, par les Japonais contre les Chinois, qu’ils ne cessaient de comparer à des cochons !

L’histoire de nos rapports avec les animaux est donc celle d’une domination que des intellectuels et les grandes religions monothéistes n’ont cessé d’essayer de justifier, et qui a pu — et peut encore — servir d’exemple pour légitimer tous les genres d’atrocité. 

Misères animales et humaines : des ressemblances pas si étranges

Un éternel Treblinka ne se contente donc pas de parler de l’Holocauste. La preuve avec des passages saisissants sur le mouvement eugéniste américain, très en vogue au début du XXe siècle. Dans le but d'« améliorer » les caractéristiques génétiques des populations humaines, les eugénistes s'inspirèrent notamment des pratiques du monde de l’élevage. Résultat : 12 000 stérilisations forcées aux États-Unis entre 1907 et 1930 ! 

Il est également glaçant de constater à quel point les méthodes d’abattage des animaux et des victimes des nazis sont similaires, voire identiques : les dispositifs mis en place pour organiser des tueries de masse, le sort réservé aux malades, blessés ou jeunes individus, et, de manière globale, la rationalisation maximale du processus....

Rien d’étonnant à tout cela puisque l’historien nous apprend que les processus d’extermination des Juifs sous le régime nazi ont été fortement influencés par les méthodes de production à la chaîne initiées par Henry Ford, qui s’était lui-même inspiré des dispositifs industriels en place dans les abattoirs de Chicago à la fin du XIXe siècle !

De la Shoah à la défense des animaux

Un éternel Treblinka réserve malgré tout aussi son lot d’émotions positives ! Dans la dernière partie de son opus, l’auteur livre une multitude de portraits et de témoignages d’opprimés ou de descendants d’opprimés devenus des militants de la cause animale, témoignages tous plus bouleversants et inspirants les uns que les autres. Marc Berkowitz, survivant des camps, s’est par exemple mué en farouche opposant au gazage des oies du Canada. « Je dédie la tombe de ma mère aux oies. Ma mère n’a pas de tombe, mais si elle en avait une, je la dédierais aux oies. J’ai été une oie, moi aussi ».

Enfin, comment ne pas mentionner la présentation passionnante que fait Patterson de la vie et de l’oeuvre de l’écrivain yiddish Isaac Bashevis Singer ? Celui-ci éleva à la dignité littéraire le combat pour la défense des animaux avec tant de talent qu’il fut élu prix Nobel de littérature en 1978 ! « Tant que nous sommes cruels envers les animaux et que nous leur appliquons le principe qui veut que le pouvoir donne tous les droits, ce même principe sera appliqué aux humains ». Ces mots de l'écrivain, ainsi que ceux de Patterson, retentissent avec force et nous invitent activement à cultiver l’empathie et la justice envers tous les êtres, par-delà l’espèce à laquelle ils appartiennent.

 

Un éternel Treblinka, Charles Patterson, Calmann-lévy, 2008.