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Profession : animal de laboratoire

  • Article du Mercredi 27 janvier 2016

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Après avoir passé plus d'un an et demi au milieu des militants de la cause animale, Audrey Jougla décide de voir de ses propres yeux la réalité bien cachée de l'expérimentation animale en France. Le livre Profession : animal de laboratoire est le fruit de cette immersion dans deux mondes totalement opposés. Bien plus qu'un simple pamphlet contre l'expérimentation animale, il s'agit d'un véritable récit de vie dans lequel l'auteure nous livre ses réflexions, ses doutes et ses peurs.

Durant une année entière, cette ancienne journaliste va enquêter en caméra cachée dans plusieurs laboratoires, sous le couvert d'un mémoire de recherche en philosophie sur l'expérimentation animale comme « mal nécéssaire ». Une formulation qui est largement reprise lors de ses entretiens avec les scientifiques et directeurs des laboratoires. D'ailleurs, est-ce réellement un mal nécessaire ? Comment justifie-t-on la nécessité d'une expérience face à la souffrance d'un individu ? Et à défaut d'être nécessaire, ce “mal” est-il toujours utile ? Tout au long des 200 pages de ce livre, des éléments de réponse se mettent en place.

 

Un monde à part

 

Les animaux de laboratoire et les traitements auxquels ils sont soumis sont à l'abri des regards, le prétexte souvent invoqué étant que « les gens ne comprendraient pas ». Le système fonctionne avec une telle opacité qu'au sein d'un même laboratoire, les chercheurs ignorent bien souvent la nature des travaux de leurs collègues. Chacun semble affirmer que ses protocoles sont exemplaires, mais qu'ailleurs, ce n'est pas toujours la panacée. On ose à peine imaginer ce que peuvent représenter ces expériences qui « se passent mal », au vu des descriptions déjà très dérangeantes de ces protocoles exemplaires. Les animaux sont enfermés durant plusieurs années, souvent leur vie entière, dans des cages métalliques sans aucun contact social ou affectif, et cela sans compter les injections, chocs électriques, ou privations auxquels ils peuvent être soumis. Ici, les expériences douloureuses portent le nom de « protocoles invasifs », l'utilisation des animaux devient le « travail des animaux » et la mise à mort est nommée « sacrifice ». Malgré les euphémismes qui caractérisent le langage des chercheurs, Audrey Jougla se rend bien vite compte que tout ce qu'elle observe vient confirmer les propos des militants, dont la crédibilité est pourtant mise en doute.

La plupart des chercheurs qui expérimentent sur des animaux sont des humains ordinaires, souvent même bienveillants, si ce n’est ce mélange de résignation et de cynisme qui les caractérise bien souvent. Il existe bien sûr quelques tortionnaires sadiques, mais ils sont très minoritaires.

 

Un véritable paradoxe moral

 

Ce livre met en lumière l'une des principales contradictions du discours pro-expérimentation animale : il s'agit d'expérimenter sur des êtres vivants qui nous ressemblent suffisamment pour que les résultats soient transposables aux humains, mais qui sont malgré tout considérés comme assez différents d’eux pour qu'on leur inflige des expérimentations qui ne seraient (heureusement) jamais tolérées sur nos semblables. Un rapport à l'animal très ambivalent qui se traduit par : « bien traiter celui à qui on fait du mal ». Cette dissonance cognitive est particulièrement observable dans les travaux sur les maladies psychologiques comme la dépression. Puisque les rats et les souris sont capables de développer les symptômes de la dépression afin de servir de modèle, ne subissent-ils pas de réelles souffrances psychologiques ? Des objections qui sont souvent balayées d'un revers de main face à la prétendue nécessité des expériences, à la souffrance des malades et à la supériorité autoproclamée de l'humain.

 

Des arguments fallacieux

 

Si de grandes découvertes scientifiques médicales ont été possibles grâce à l'expérimentation animale, on oublie souvent que bien d'autres s'en sont passé. Et aussi que beaucoup n'ont été que de faux espoirs à cause du modèle animal qui est en fait rarement transposable. La fin justifie-t-elle toujours les moyens ? Et surtout quelle est la véritable finalité de toutes ces expériences ? On apprend que la plupart sont menées par intérêt personnel ou financier, et que l'argent alloué aux recherches sur les maladies graves ne représente qu'une petite partie du budget des laboratoires : moins de 20 % des recherches portent sur la médecine1 ! L'image d'Épinal que nous avons tous en tête, celle des malades sauvés grâce à l'expérimentation animale, en prend un sacré coup : non, on ne sacrifie pas quelques animaux pour sauver des centaines de personnes souffrantes. Et c'est sans compter toutes les expériences répétées inlassablement, « pour rien », puisque les résultats ne sont pas rendus publics ou partagés entre les firmes : la concurrence économique est trop forte. Bien plus qu'un simple témoignage ou état des lieux, Audrey Jougla nous livre une réflexion de fond sur le rapport que nous entretenons avec les animaux : sommes-nous si différents ? Quels motifs peuvent justifier cette différence de traitement selon que l'on soit né humain ou animal ? L'intelligence, ou encore la conscience, invoquées en premier lieu, ne semblent que peu pertinentes, voire complètement injustes si l'on y regarde de plus près. En effet, bien qu’un humain nouveau-né ne soit pas plus intelligent ou conscient qu'un animal, il ne viendrait à personne l'idée de le soumettre à des expériences invasives et douloureuses ! La conclusion est sans appel : si l'expérimentation animale provoque un tel malaise chez la plupart d'entre nous, c'est bien parce qu'elle n'a pas de justification morale possible. Il n'y a pas de raison valable à faire subir aux animaux des expériences auxquelles nous refuserions de nous soumettre.

Véritable investigation dans un milieu qui fonctionne en huis clos, Profession : animal de laboratoire dresse un portrait glaçant de la recherche animale d'aujourd'hui doublé d'une réflexion philosophique profonde sur la question animale.

 

Audrey Jougla, Profession : animal de laboratoire, Autrement, 2015.

→ Lire le premier chapitre du livre gratuitement

 

1. Septième rapport sur les statistiques concernant le nombre d’animaux utilisés à des fins expérimentales et à d’autres fins scientifiques dans les États membres de l’Union européenne : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2013:0859:FIN:...