Témoignage • Cécile : épargner les agneaux de Pâques
- Article du Mercredi 28 mars 2018
Après avoir visité un abattoir en avril 2012 lors de ses études d’agronomie, Cécile a arrêté de manger les animaux. Aujourd’hui végane et militante pour la cause animale, elle nous livre le témoignage poignant qu’elle a écrit un an après sa visite. Les agneaux la remercient !
Nous étions en Haute-Loire, la semaine juste avant Pâques. C’était une semaine d’“enquête départementale”, comme cela s'appelait, une semaine où nous étions amenés à rencontrer différents acteurs du secteur agricole d’un département, pour en comprendre les enjeux.
Quand l’occasion s’est présentée de visiter un abattoir, je me suis tout de suite portée volontaire. Je voulais savoir ce qu’il s’y passe, et comment cela se passe. En fait, j’étais tout simplement intriguée par cette étape de “fabrication” dont on ignore tout ou presque, même en école d’agronomie.
Je dois avouer que je n'appréhendais pas particulièrement cette visite. Pour vous dire, je crois que j’étais à peu près dans le même état d’esprit que le jour où j’ai visité une usine de production de yaourts !
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Avril 2012, la semaine précédant Pâques
"Nous sommes 7 dans la voiture de location.
Au fur et à mesure que nous approchons de l’abattoir, l’ambiance plutôt joyeuse au départ s’alourdit peu à peu. Je ne comprends d’abord pas bien pourquoi les autres se taisent. Puis l’odeur commence à apparaître. Une odeur âpre, celle de la mort et du sang. Je prends conscience, tardivement, que je vais assister à une tuerie. Lorsque nous descendons de voiture, personne ne dit un mot. Je me demande soudain pourquoi je suis venue. Je suis le groupe à reculons. Au-dehors, l’odeur se fait plus prégnante, la peur et le sang se mêlent étrangement.
Nous entrons.
Une secrétaire nous accueille. Des gens circulent. Nous sommes dans la partie administrative de l’abattoir, mais ça sent déjà la mort à plein nez. Je repère quelques gouttes de sang sur les murs. Des ouvriers massifs déambulent avec de grandes bottes blanches tachées de sang.
J’ai maintenant clairement peur.
Nous enfilons nos tenues : charlotte, combinaison, protèges-chaussures. Je tremble.
Je me sens devenir pâle. Instinctivement, j’ai envie de fuir.
Je continue de suivre le groupe à reculons. Je suis la dernière de la file. La grande porte métallique s’ouvre. L’odeur de mort devient suffocante. Le premier entre, puis le deuxième... le troisième... le quatrième… Je les regarde, pétrifiée. Ça va être mon tour.
Je m’approche le coeur battant. Je passe la tête dans l’embrasure de la porte, juste assez pour voir ce qu’il se passe.
Ce sont les hurlements des agneaux qui m’horrifient d’abord.
On nous explique que ce sont des agneaux de Pâques, je n’écoute même pas.
Les jeunes agneaux, parqués entre des barrières métalliques, sont pris de panique. Ils s’épuisent à hurler toujours plus fort en essayant de s’échapper coûte que coûte. Ils se grimpent dessus les uns les autres pour tenter de franchir les barrières, se blessent, hurlent encore plus fort. L’odeur de mort insoutenable, c’est celle de leurs semblables.
Moi, je n’ai toujours pas fait un pas. À l’abri, sidérée.
Avec une dernière lueur d’espoir dans les yeux, un agneau m’implore du regard.
C’en est trop, je prends la fuite. Je referme la porte et rebrousse chemin à toute vitesse. Je rends ma tenue. Je lance un regard noir à la secrétaire qui marmonne à mon passage, froide, impassible, sans doute usée par ce métier sordide : “ah oui, y en a qui craignent hein...”, avant de laisser échapper un soupir réprobateur.
Sur le moment, trop occupée à fuir le plus rapidement possible, je ne relève pas. Mais ses paroles, cet abominable euphémisme “craindre” (mais craindre quoi au juste ? craindre la peur et la mort ? craindre la souffrance d’autrui ?) résonnent ensuite dans ma tête pendant de longues minutes, qui deviendront ensuite des jours et des mois…
Je sors. Je suis en état de choc, incapable de prononcer le moindre mot.
Je rejoins mon amie Gwénaëlle dans la voiture. Accablée par l’odeur et les cris dès le parking, elle n’avait pas réussi à entrer dans le bâtiment. On pleure, sans un mot, pendant une bonne demi-heure, dans les bras l’une de l’autre. On réussit enfin à sortir de voiture. On marche loin, le plus loin possible, pour ne plus sentir la mort.
Je commence, sans le savoir, la première phase d’un deuil qui sera long. Le deuil de tous les individus à qui j’ai ôté la vie en 20 ans d’existence. Tous ces êtres, sensibles, intelligents, qui n’avaient pas envie de mourir. Je n’ose même pas imaginer combien ils sont.
Mes larmes sont intarissables. Au bout d’une heure, peut-être deux, nous revenons vers l’abattoir. Les autres ont fini la visite.
Nous avons rendez-vous avec le directeur. On me dit de venir, que ça peut être intéressant. Je suis le groupe, toujours sans un mot. Je ne réussis pas à les regarder en face, les autres. Ceux qui y sont allés, qui ont vu, et que ça n’ébranle pas le moins du monde. Dans le bureau du directeur, mes jambes fléchissent de nouveau. Je ne capte que quelques bribes de conversation.
J’entends un de mes collègues s’étonner d’avoir vu le directeur travailler sur la chaîne avec les ouvriers pendant la visite. Et celui-ci de répondre avec humour : “Vous avez déjà entendu parler de sadisme animal ? Quand il manque un employé, je vais me faire plaisir sur la chaîne ! (rire)”
Mais comment peut-on rire de ça ?
Là encore, c’en est trop pour moi. Je quitte le bureau brusquement pour m’effondrer à l’extérieur. Je ne rentrerai pas de nouveau. Je ne participerai plus à ce massacre. Voilà ce que je me suis promis ce jour-là. ”
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Sur les six étudiants présents ce jour-là, nous sommes deux à ne plus manger les animaux. Et vous, ouvrirez-vous les yeux ?
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