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Mama Red

  • Article du Lundi 7 mars 2022

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C’est un livre qui se dévore, dont les pages se tournent toutes seules et qu’on referme avec une intention au cœur : défendre les animaux. C’est l’histoire de Mama Red, la vache qui bouleverse le destin de Sarah McCreamer lorsque son fils, Emerson Bridge, décide d’élever son veau pour un concours. C’est l’histoire d’une vache qui a vraiment existé, quelque part en Caroline du Sud, et que l’autrice Bren McClain a rencontrée : en un regard, une promesse était faite et un roman était né. Rencontre avec Bren McClain, qui nous a raconté l’histoire de Mama Red ! 

 

Bonjour Bren ! Comment avez-vous eu l’idée d’écrire au sujet des animaux, et plus particulièrement des vaches ?

C’était le 5 novembre 2007, j’étais en visite chez mon père, dans la ferme où j’ai grandi : il élève des bovins pour la production de viande. Et c’était au moment de la séparation des vaches et de leurs veaux : elle a lieu lorsqu’ils ont entre 6 et 8 mois. Les éleveurs séparent les mères des petits pour permettre l’insémination suivante. Après avoir été séparées de leurs petits, les mamans vaches criaient, d’un cri fort et rauque… Ces sons m’ont réveillée à 5 heures du matin, je me suis habillée et je suis sortie. Les vaches étaient rassemblées dans un coin de leur enclos, elles appellaient leurs petits, encore et encore. Ces cris... ils m’ont transpercée jusqu’aux os.

Et il y avait une vache dans le troupeau qui ne me lâchait pas du regard. Les autres vaches regardaient au loin, mais elle, elle me regardait droit dans les yeux, et j’ai senti qu’elle me demandait de lui ramener son petit.

Je suis allée la voir et je lui ai dit : « Je ne peux pas te ramener ton veau, mais je te promets de raconter ton histoire. » C’est comme ça qu’est né ce roman : par une promesse faite à l’aube à une maman vache qui venait de perdre son petit.

 

Dans le roman, Mama Red et son veau ne sont pas que des objets : ce sont de véritables personnages… 

Oui, les vaches ne sont pas des objets qui entourent les humains : elles sont le cœur de mon roman. Et c’est normal, puisque les animaux ont une véritable expérience du monde… C’est aussi pour ça que je voulais mettre les deux personnages de mère au centre du roman : Mama Red et de Sarah Creamer sont d’égale importance, même si l’une est vache et l’autre humaine… Je voulais parler de la maternité, et quand j’ai rencontré Mama Red alors qu’elle venait de perdre son veau, j’ai trouvé ce qui me manquait pour en parler au mieux. C’était un instinct, une impulsion.

 

Votre livre évoque aussi une tradition nord-américaine particulière : aux États-Unis, il est courant que les enfants ou adolescents dressent eux-mêmes un veau et s’occupent de lui pendant une année, pour qu’il soit ensuite vendu puis abattu. C’est une tradition violente, pour les animaux comme pour les enfants…

C’est une coutume incroyable… Elle est si cruelle ! Les jeunes achètent ou reçoivent un veau, d’environ un an. Ils l’engraissent pendant des mois, et ils le brossent, le lavent, l’aiment, lui apprennent à marcher avec un harnais… Ces animaux deviennent de véritables animaux de compagnie, un lien se crée entre le veau et l’enfant ! Puis, les veaux sont présentés à une foire où les juges les examinent pour déterminer si la viande sera bonne… Le gagnant remporte une grande somme d’argent.

La raison pour laquelle j’ai voulu écrire à ce sujet, c’est que mon père a fait un concours à l’âge de 14 ans, avec son veau. Il a gagné, sa photo a été publiée en première page du journal : un grand honneur ! Mais, même s’il est devenu éleveur, il a toujours été incapable de reparler de ce veau. Je voulais explorer ce sentiment, comprendre ce qu’il s’était passé avec ce veau.

Pour mes recherches, j’ai été à une de ces foires, au Kentucky. J’ai rencontré un petit garçon qui s’appelait Ryan ; il était avec son veau, Tucker. Il m’a dit : « Je vais montrer mon veau… mais après, on va devoir le tuer. » Et il pleurait. Avant que son veau ne soit vendu, il a fui : il ne pouvait pas supporter l’idée qu’il soit tué. C’était horrible.

Alors je suis retournée voir mon père et je lui ai dit que je comprenais pourquoi il n’arrivait plus à parler de ce veau. Il avait 87 ans à l’époque, mais il s’est mis à pleurer. Il m’a dit : « Bren, j’ai vendu mon meilleur ami. »

 

Dans Mama Red, la vente du veau est aussi un moment terrible pour LC : il veut le sauver, mais l’idée de décevoir son père est trop forte. Est-ce que la manière dont on éduque les enfants a un rôle à jouer dans le futur ?

Bien sûr ! LC voulait sauver ce veau… Que se serait-il passé si son père n’avait pas été si sûr de lui ? Ou si sa mère avait intercédé en sa faveur ? Bien sûr que l’éducation peut changer les choses !

Et c’est important, car les jeunes sont notre futur, et ils sont le futur des animaux. J’adore voir les jeunes qui se mobilisent pour les animaux aux États-Unis actuellement : quelle belle énergie !

 

Et la littérature, peut-elle changer le monde ?

Tout à fait ! D’ailleurs, je pense que la littérature de fiction est encore plus puissante que la non-fiction, car elle nous permet d’incarner quelqu’un d’autre, d’incarner une conscience. Pour lire mon livre, vous devez incarner Mama Red, devenir cette vache, ressentir ce qu’elle a ressenti. Et je pense que c’est une manière puissante d’abattre les barrières qui existent aujourd’hui entre nous et les animaux.

J’ai rencontré de nombreux lecteurs qui ont arrêté de manger de la viande après avoir lu mon livre. Certains ont fait des heures de route pour venir rencontrer Mama Red en vrai !

 

Ah, Mama Red existe dans la vraie vie ?

Oui, et je lui ai sauvé la vie. Après cette première rencontre en 2007, mon père m’a appelée un jour, il m’a dit : « Bren, cette vache que tu aimes, je vais devoir l’envoyer à l’abattoir. Je n’ai pas d’autre choix, j’ai besoin de l’argent. » Je lui ai dit : « Papa, combien ? » Et je lui ai envoyé un chèque.
J’ai offert à Mama Red une vie en sécurité : elle est morte en juillet 2020, paisiblement, à l’âge de 29 ans. Quant à moi, j’ai accompli la promesse que je lui avais faite : j’ai raconté son histoire.

 

 

Comme quoi, la littérature ne change pas que la vie des lecteurs, elle change aussi la vie des écrivains...

Absolument. D’ailleurs, c’est en écrivant ce roman, en me mettant dans la peau de Mama Red, que j’ai décidé d’arrêter de manger de la viande. La littérature change des vies, et c’est aussi pourquoi j’écrirai toujours sur les animaux, toujours. Je le dois : les animaux sont mon monde.

 


Prix Maya
Créé en 2019, le Prix Maya est un prix littéraire animaliste, qui récompense chaque année une bande dessinée, un ouvrage jeunesse et un roman de littérature générale.
En 2021, Mama Red de Bren McClain a gagné le prix du Roman animaliste !

 


 

Mama Red, Bren McClain, traduction de Marie Bisseriex, éd. Le Nouveau Pont, 2019.