Bannière Climat : les manœuvres des filières d’élevage pour contrer l’expertise scientifique

Climat : les manœuvres des filières d’élevage pour contrer l’expertise scientifique


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Le rôle des pâturages dans l’absorption du CO2 est largement surestimé par les défenseurs de l’élevage.

Il est désormais connu que des lobbies influents ont cherché à semer le doute auprès des pouvoirs publics et des citoyens sur les effets néfastes du tabac, de l’amiante ou du réchauffement climatique. Aujourd’hui, les lobbies de l’agroalimentaire mobilisent les mêmes mécanismes pour insuffler une incertitude scientifique face à des rapports internationaux accablants, dans le but de défendre les « bénéfices des prairies » et les « atouts » d’un modèle agricole devenu obsolète.

 

La vache qui cache la forêt

Selon l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le secteur de l’élevage est responsable de 14,5 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, dont 8,8 % pour l’élevage bovin. En évoquant récemment l’impact des productions animales sur le climat, l’animateur Nagui a provoqué une contre-communication indignée de la part des filières de productions animales, déployée à grand renfort d’éléments de langage évoquant un « modèle agricole français » bucolique et bénéfique pour l’environnement. Comme souvent, l’Institut de l’élevage ou Interbev (l’interprofession du bétail et des viandes), qui s’emploient à défendre l’élevage face aux attentes ou aux critiques de la société, disposent en vitrine des élevages champêtres d’animaux herbivores élevés « en prairies », qui auraient au contraire, selon eux, un impact positif sur l’environnement : l’activité de pâturage, en contribuant au stockage du carbone dans les sols, permettrait de compenser les émissions de gaz à effet de serre dues à l’élevage de bovins, entretiendrait nos paysages et favoriserait la biodiversité.

Ambassadeurs permanents de l’élevage français et vedettes de toutes les affiches de salons agricoles, les bovins de nos campagnes ne représentent pourtant qu’une part négligeable du milliard d’animaux tués chaque année dans les abattoirs français. Par exemple, les 4 727 000 bovins abattus en France en 2016 ne comptent que pour 0,4% du total vertigineux d’animaux abattus : 23 millions de cochons, 69 millions de canards, 43 millions de poules, 180 millions de truites d’élevage et plus de 800 millions de poulets. En élevage intensif, sans accès à l’extérieur et loin du « modèle agricole » vendu par les communicants des filières, 83 % de ces millions d’oiseaux grandissent à un rythme accéléré, entassés dans des bâtiments fermés, tandis que 95 % des cochons passent leur courte vie dans des enclos en béton, composant ainsi le modèle agricole dominant. Cette réalité illustre un problème sérieux : les interlocuteurs agricoles des institutions et des médias ne représentent pas la réalité de l’élevage français.

 

Le méthane entérique, la bête noire du climat

Dans la communication des filières agricoles, les « prairies » où paissent une partie de ces vaches sont vantées pour leur faculté d’absorption du CO2. Le terme de « prairie » est bien choisi : il évoque immédiatement de vastes étendues où de hautes graminées ondulent à perte de vue sous les caresses du vent, riches de fleurs multicolores ou de papillons. Il suffit pourtant de parcourir le territoire pour s’apercevoir qu’en lieu de vastes prairies, le paysage se compose essentiellement de prés dont l’herbe est maintenue rase par le pâturage. En effet, en broutant, les vaches réduisent la masse végétale qui pourrait y pousser et y absorber le CO2 plus efficacement. En outre, les ruminants rejettent d’importantes quantités de méthane, un gaz à effet de serre dont le potentiel de réchauffement est 25 fois supérieur au gaz carbonique.

Contrairement à ce qu’affirment les syndicats agricoles, cette importante production de méthane entérique est loin d’être compensée par le potentiel d’absorption des prairies, qui pourraient être plus efficaces pour lutter contre le réchauffement si elles étaient valorisées en vergers, céréales, vignes ou par la sylviculture, sans la présence d’animaux. Plus éloquent encore, un courrier de la Coordination rurale adressé à Ségolène Royal en 2014 montre le syndicat à l’œuvre pour exclure le méthane entérique de la stratégie « Bas Carbone » du gouvernement : « Si, par votre voix, le gouvernement envisage de retirer cet amendement du projet définitif, il fera courir un grave risque à l'élevage français et conduira certainement à sa disparition. Il est absolument impossible pour les éleveurs de stopper ou réduire les émissions de méthane produit lors de la digestion des ruminants. »

Si on voulait illustrer plus sérieusement la contribution des élevages au paysage français, un rapport sur la teneur en nitrates des cours d’eau ou sur la prolifération désastreuse des algues vertes sur les côtes de Bretagne serait sans doute plus représentatif de l’impact qu’a l’élevage sur notre environnement.

 

Viande, lait & climat = un lien indéniable

S’ajoutant au constat établi par la FAO, le 55e rapport du GIEC estime que la simple application des recommandations nutritionnelles de la Harvard Medical School – qui conseillent de limiter la consommation moyenne de viande de ruminants à 10 g par jour et la consommation des autres viandes, du poisson et des œufs à 80 g par jour – permettrait de réduire de 36 % les émissions de GES d’origine agricole, et de plus de 8,5 % les émissions totales de GES. Par ailleurs, une récente étude pilotée par l’Université d’Oxford et publiée par un collectif d’une vingtaine de chercheurs dans la revue Nature invite les habitants des pays occidentaux à réduire leur consommation de bœuf de 90 % et le lait de 60 %, au bénéfice des fruits et des légumineuses, afin de minimiser l'impact de l'alimentation humaine sur l'environnement.

Enfin, à mesure que le public découvre les tristes réalités de l’industrie des élevages et des abattoirs, la légitimité de mettre à mort tant d’animaux pour produire une nourriture dont personne n’a besoin pour être en bonne santé fait l’objet d’un questionnement croissant. Parce qu’un modèle agricole n’est pas une pièce de musée, parce que se nourrir sans viande n’est pas renoncer au plaisir, parce que le talent de nos agriculteurs et de nos restaurateurs est multiple, parce que les produits de nos maraîchers, céréaliers, vignerons ou brasseurs d’aujourd’hui composent une cuisine savoureuse au fil des saisons, la France n’est-elle pas déjà riche de la gastronomie de demain ?