Hommage au chevaux espagnols
- Article du Dimanche 30 mars 2014
Témoignage personnel
L’été 2001, alors que je séjournais au sud de l’Espagne dans une écurie estampillée “caballos de pura raza española”, où transitait en réalité toutes sortes de chevaux, j’appris que le propriétaire des lieux allait convoyer des chevaux vers la France.
À l’avant du van, on chargea le fleuron des élevages, je n’ai guère de souvenirs des chevaux sélectionnés, sinon l’un d’entre eux, un bel étalon auquel je m’étais attachée et qu’il était triste de laisser partir, bien qu’on m’assura qu’il avait trouvé un propriétaire sérieux.
En revanche, commença une curieuse opération pour ceux qui devaient être chargés à l’arrière : ils recevaient chacun des numéros sur la croupe à la bombe orange fluo. Je questionnai le palefrenier qui m’informa qu’il s’agissait du “sceau” de l’abattoir. En effet, les jours précédents, ils étaient arrivés d’un peu partout, afin d’être regroupés pour leur dernier convoi. Et ceux-là, je me souviens précisément de chacun d’eux...
ll y avait ce vieux percheron, qui avait eu le dernier privilège d’être hébergé en boxe. Cette petite jument, que je fus chargée de tester afin de savoir si elle était débourrée (ce qui constituerait son passeport pour continuer à vivre). Ce poulain vaguement typé arabe qui ne présentait pas de tare particulière mais auquel on ne daigna même pas soigner une blessure de transport sur un antérieur. Cette jument espagnole en voie de paralysie et qu’on dût lever à coup de bâton afin de la faire monter dans le camion. Deux juments estropiées, dont j’ignore si elles souffraient de malformations superficielles (ayant le malheur de les rendre inesthétiques), de maltraitance ou les deux. Tout ce que je sais, c’est qu’on sauva la “perla”, pour sa robe café-au-lait très prisée car relativement rare en tant que repoductrice. Et enfin, j’assista éberluée, au marquage d’un “colino”, comprenez cheval auquel on a écourté la queue. Pourquoi son cas m’interpelait davantage que les autres ? Je l’avais aperçu dans la carrière, je ne me souviens plus s’il s’agissait d’un hongre ou d’une jument, mais c’était un très joli bai, à qui on n’a visiblement pas laissé sa chance sous prétexte que le débourrage n’était pas aisé. Dans ce cas, on catalogue “insoumis, irrécupérable”. Du haut de mes 17 ans, il ne m’avait pas fallu longtemps pour voir que ce cheval n’était pas vicieux mais probablement traumatisé. Et des traumatisés, là-bas, j’en ai vu d’autres, à l’image précise du bel étalon chargé à l’avant dont les origines avaient comme par magie insufflé le parti de la patience pour mener à bien son dressage.
En résumé, tous ces chevaux dont on se débarrassait, allaient traverser tout un pays de sud en nord en camion, en plein été. Les locaux ne partageant guère le goût des français pour la viande équine mais ne crachant pas sur ce profit inaccessible dans leur propre pays.
C’est ainsi que sont condamnés les vieux, les jeunes nés accidentellement, les malades, les moches, les traumatisés. Bref, les indésirables, les inadaptés.
Finalement les chevaux ont un avantage sur nous les Hommes, si l’on en juge par le cas de la “perla”, qui dût son salut à sa différence de couleur.