Bannière L'envers de la viande : un ancien boucher raconte

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Laurent Richier est boucher de profession. En travaillant dans la grande distribution pendant 6 ans, il a été témoin des conditions sanitaires déplorables dans lesquelles est vendue la viande et de la violence avec laquelle sont abattus les animaux. Depuis, il a cessé son activité de boucher et est devenu végétarien. Il a décidé de raconter son expérience et de dénoncer ces pratiques dans un livre intitulé « Viande : et si vous saviez… Un boucher de la grande distribution parle » paru ce jeudi 17 novembre 2022 chez VA Éditions. Nous lui avons posé plusieurs questions pour comprendre sa démarche. 

 

Bonjour Laurent Richier. Merci d'avoir accepté de répondre à nos questions !
Tout d'abord, comment êtes-vous devenu boucher ?

Laurent Richier : Plus jeune, je n’aimais pas l’école. J’étais bien souvent le dernier de la classe. Mon père ne concevait pas d’avoir un fainéant à la maison. Nous étions tout au début des années 80. Au vu de mes bulletins scolaires désastreux, mes parents m’ont poussé à chercher un travail dès l’âge de 15 ans. J’ai donc dû faire du porte-à-porte dans ma ville et ailleurs pour trouver un travail manuel. En fait, je ne savais pas vraiment ce que je voulais faire. J’ai eu pas mal de refus dans des boulangeries, menuiseries. Une seule entreprise m'a proposé un apprentissage de boucher. Un métier que je n’avais jamais imaginé faire. Le paradoxe est que j’ai toujours aimé les animaux. Très jeune, mon père m’emmenait voir les chevaux, les vaches, les moutons dans les prés, pas loin de notre maison. Il attachait lui aussi une importance particulière pour la nature et les animaux. Mais voilà, je me suis retrouvé dans ce métier par dépit. Il fallait de toute façon travailler. Je ne concevais en aucun cas de décevoir mon père que j’ai tant aimé. Par la suite, j’ai tout fait dans ma vie pour me sortir de ce métier, en vain…

 

Qu'est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

L.R. : Le désespoir que je vivais au quotidien me rongeait au plus profond de moi-même. Mes hiérarchies successives, que j’ai eues en tant que boucher intérimaire et même en CDI, m’ont fait faire des choses absolument honteuses. Des préparations bouchères, des saucisses, avec de la viande avariée dont les dates limites de consommation étaient parfois dépassées depuis 15 voire 20 jours pour certaines. Des quartiers de viande que je désossais, qui trainaient dans la chambre froide depuis plus de trois semaines, avaient pour certains des champignons. Je les parais jusqu’à ce que la viande retrouve une couleur bien rouge. Après le travail terminé, ils prenaient la direction de l’étal afin que tout soit vendu aux consommateurs.  Un jour j’ai appris qu’une mère de famille était à l’hôpital pour une grave intoxication. Je ne pouvais plus me taire ! 

Laurent Richier photographie les morceaux de viande avariée gardés dans les chambres froides pour être vendues aux clients.

De plus le confinement et la surconsommation ont accéléré les abus, la aussi j’ai décidé de tout vous raconter dans mon livre dans les moindres détails, même l’humiliation des animaux par certains bouchers, pourtant mort et pendu aux crochets S. L’hygiène aussi… Mon livre est une preuve de plus du non-respect de la vie animale, de l’humiliation et du fait que l’on tue trop d’animaux comparé à la consommation. Je témoigne en tant que boucher et tout ceci je l’ai vu de mes propres yeux. Nous pouvons plus accepter de telles pratiques ! J’ai tellement envie de faire bouger les choses. 

Des collègues de Laurent Richier se photographient en train de mimer des actes sexuels avec la tête et la queue d'un cochon mort.

Malgré vos alertes répétées, rien n'a bougé. Vous avez pourtant contacté les services vétérinaires de l'État (NDLR : la Direction départementale de la protection des populations du Nord) à de nombreuses reprises pour les informer de la situation ?

L.R. : Tout à fait, après plusieurs plaintes de ma part concernant plusieurs magasins où j’ai travaillé comme boucher intérimaire et en CDI, seule une grande surface a été contrôlée et a d’ailleurs écopé d’un procès. Pourtant, vu les horreurs qui étaient vendues, il aurait fallu fermer le rayon boucherie. Ça me révolte ! 

Les autres n’ont quant à eux jamais été contrôlés. Pourtant, pour certains, il était fréquent de retrouver des crottes de rat dans le laboratoire, ou des cafards en dessous des plats où était exposée la viande, et ce même dans des magasins bio ou spécialisés dans la viande d’exception. Face à ce scandale, et voyant la lassitude des hauts fonctionnaires, j’ai même averti la presse. Le Parisien, RTL, et France Télévisions ont pu constater les faits dans une moyenne surface où je travaillais comme simple boucher. J’ai reçu des menaces mais qu’importe, c’est mon combat et celui de nos enfants ! Comment expliquer la lassitude des autorités sanitaires ? C’est une énigme à laquelle je tente de répondre dans mon livre. 

 

Vous êtes également allé visiter des abattoirs. Pouvez-vous nous dire ce que vous y avez vu ?

L.R. : J’ai visité un abattoir et ce que j’ai vu est horrible ! Les animaux (bœufs, vaches) étaient torturés, égorgés vivants. J’ai même vu des bouchers ouvrir le corps des animaux pendus au S alors que leurs pattes gigotaient encore. Certains bouchers tueurs n’hésitent pas à faire souffrir l’animal pour « rigoler », en lui donnant des coups de pied avant de lui mettre le coup de couteau qui lui sera fatal. Tout m’a traumatisé, les cris, les pleurs de ces pauvres êtres vivants. Je peux vous certifier sur l’honneur que les animaux sentent la mort comme un humain. 

Dans un autre abattoir, les volailles vendues labellisées étaient maltraitées. Elles recevaient des coups de pieds, étaient balancées comme des balles de baseball pour les emmener vers leur mort imminente. Toutes entassées les unes contre les autres je me demandais même comment elles pouvaient respirer dans ce bâtiment qui puait la merde, la mort, le sang. Je vous épargne la mise à mort des agneaux, cela est surréaliste ! Je ne souhaite à personne de voir ce que j’ai vu ! Tout est trop triste. 

J’ai même vu dans un abattoir un cheval me regarder droit dans les yeux un court instant alors qu’il était dans le couloir de la mort. On aurait cru qu’il savait ce que je pensais. Ses yeux étaient brillants, mouillés. J’aurais tellement voulu le sauver mais que faire face à la bêtise humaine ? C’est peut-être grâce à lui aussi que je mène ce combat aujourd’hui. 

Je soutiens la L214 de toute mes forces et ses vidéos sont d’une véracité totale ! Je me battrai jusqu’à mon dernier souffle de vie pour abolir cette peine de mort malheureusement encore en vigueur aujourd’hui en 2022. Ces lieux de souffrance doivent fermer à tout jamais. 

 

Depuis, vous êtes devenu végétarien. Quel a été le déclic ? 

L.R. : Avant de devenir végétarien, j’étais devenu anorexique : la nourriture me dégoûtait au plus haut point. Je culpabilisais de manger ne serait-ce qu’un petit morceau de viande. Je suis tombé dans une dépression totale. Manger un être vivant que l’on a assassiné pour un plaisir gustatif me torturait l’esprit à chaque instant, chaque seconde. J’imaginais les souffrances qu’on lui avait fait subir. 

À partir de cet instant je n’ai jamais plus mangé un morceau de viande. J’étais libéré d’un poids qui me pesait depuis longtemps. Je prenais enfin conscience qu’une vie quelle qu’elle soit ne méritait pas d’être broyée entre mes dents de carnivore. Tout ceci, je n’osais pas en parler à mes collègues boucher parce que j’aurais été immédiatement moqué. Idem pour mon travail où je devais désosser toutes ces pauvres bêtes en essayant de cacher mes larmes ou mes regrets. Je devais gagner ma vie, un petit SMIC pourtant, mais celui-ci m’aidait à rester debout.  

Je pense qu’un jour l’être humain prendra conscience que les animaux qui peuplent notre planète valent beaucoup mieux qu’un morceau de viande dans la bouche. J’ai décidé de mener ce combat parce que je suis persuadé que si les mentalités ne changent pas, nous pourrions le regretter. Notre planète a ses limites, des limites malheureusement franchies depuis pas mal d’années. Les animaux, les océans, la nature n’en peuvent plus ! Sauvons-les avant qu’il ne soit trop tard. Devenir végétarien ou végan devient une nécessité absolue. 

Merci pour votre témoignage et pour votre engagement, nous espérons que votre livre fera bouger les choses. 

Le livre de Laurent Richier peut être acheté sur le site Internet de VA Éditions ou en librairie. L'auteur parcourera d'ailleurs la France dans les prochaines semaines pour accompagner la sortie du livre.