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La cruauté envers les animaux ne s’arrêtera pas tant que nous continuerons de manger de la viande

  • Article du Samedi 14 février 2015

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Dans un article publié le 3 février 2015 dans The Guardian, Peter Singer, auteur de La libération animale, fait le point 40 ans après la publication de son ouvrage majeur. Il réagit notamment à la diffusion d'une vidéo faite par Animal Aid, une association militante, filmée en Angleterre dans un abattoir où il a été constaté des actes de cruauté sur des animaux. Pour Peter Singer, tant que nous continuerons à consommer de la viande, ces actes de maltraitance demeureront inévitables. Voici la traduction de cet article par Kévin Barralon. Merci à lui.


Lorsque j’ai publié La Libération animale, j’espérais que 40 ans plus tard, il n’y aurait plus d’abattoirs — et qu’il n’y aurait plus, également, d’histoires dans les journaux au sujet d’atrocités comme celle d’un abattoir dans le nord de l’Angleterre. Les arguments contre l’oppression que nous exerçons sur les animaux me semblaient si évidents et irréfutables qu’il était certain qu’un puissant mouvement allait émerger, reléguant ces abus dans l’histoire, à l'instar du mouvement anti-esclavagiste qui a mis fin à la traite des noirs.

Du moins, c’est ce que j’imaginais dans mes moments les plus optimistes (ou naïfs). Dans mes moments les plus pessimistes (ou réalistes), j’ai compris l’immensité de la tâche qui consiste à changer des habitudes aussi profondément enracinées que manger de la viande et transformer des points de vue aussi prépondérants que le spécisme. Plus de 200 ans après l’abolition de l’esclavage, le racisme est toujours là. Et même l’esclavage, alors qu’il est partout illégal, existe toujours. Comment ai-je pu m’imaginer que mettre fin au spécisme et à l’esclavage des animaux serait plus facile que mettre fin au racisme et à l’esclavage d'êtres humains ?

Dans le contexte de ces hypothèses les plus réalistes, nous pouvons déplorer le fait que les animaux soient toujours maltraités à grande échelle. Mais il ne faut pas désespérer. Dans de nombreuses régions du monde, y compris en Europe et aux Etats-Unis, il y a eu d’énormes progrès vers un changement d’attitude envers les animaux. Un mouvement puissant pour la défense des animaux a vu le jour, et ça a fait une différence pour des milliards d’animaux.

En 1971, lorsque quelques étudiants et moi avions mis en place un écran à Oxford pour montrer aux passants comment leurs œufs et leur veau sont produits, les gens nous demandaient si nous imaginions réellement que nous pourrions gagner face à la puissance politique et financière de l’industrie agroalimentaire. Mais le mouvement pour les animaux a remis en cause cette industrie avec succès, cette dernière ayant dû réaliser des réformes dans toute l’Union européenne qui exige désormais que les animaux d’élevage aient plus d’espace et de meilleures conditions de vie. Et des changements similaires sont intervenus de la même manière en Californie. Certes, ces changements sont encore loin de rendre la vie des animaux d’élevage décente, mais ils constituent une amélioration significative par rapport aux pratiques courantes avant les réformes.

Le nombre de personnes qui ont complètement arrêté de manger des animaux ou ont réduit leur consommation de viande pour des raisons éthiques est peut-être encore plus satisfaisant. Dans les années 1970, pour être végétarien il fallait être excentrique — pensée reflétée dans le nom de ce qui était alors le meilleur restaurant végétarien, Cranks ( = personnes excentriques). Si vous utilisiez le terme « vegan », vous obteniez invariablement un regard vide et vous deviez expliquer ce que cela signifiait.

Malgré tout cela, il est probablement vrai qu’il y ait plus d’animaux encore qui souffrent de la main des hommes qu’auparavant. C’est parce qu’il y a plus de gens riches dans le monde qu’auparavant, et le fait de satisfaire leur demande en viande signifie un vaste développement d’élevages industriels, plus particulièrement en Chine. Mais, le fait de voir dans cela une preuve que les défenseurs des animaux n’ont pas fait de progrès reviendrait à dire que, parce qu’il y a plus d’esclaves dans le monde aujourd’hui qu’en 1800, le mouvement anti-esclavagiste n’a pas fait de progrès. Avec une population mondiale qui a été multipliée par sept depuis 1800, les nombres ne nous expliquent pas l’histoire intégralement.

Les progrès ne sont jamais définitifs. Il y a toujours des périodes où nous avons l’impression que les choses stagnent, ou même que nous régressons. Périodiquement, des articles nous parlent, par exemple, du retour de la fourrure. Mais je doute que la fourrure ait jamais été aussi indiscutablement acceptée qu’il y a 40 ans en arrière. Le fait que les journaux nous exposent largement des faits au sujet de maltraitance d’animaux destinés à l’alimentation dans certains abattoirs est lui-même un progrès.

Dans le même temps, il y a une leçon simple à tirer des vidéos réalisées par les enquêteurs d’Animal Aid (une association qui milite pour les droits des animaux et qui a filmé les actes de maltraitance précités dans un abattoir en Angleterre) : si vous transformez les animaux en choses à utiliser et que vous donnez aux travailleurs le contrôle total sur ces derniers, il ne sera jamais possible de stopper l'existence de ce genre d’abus montrés dans les vidéos. Licencier un ou deux travailleurs fera d’eux des boucs-émissaires. Le problème n’est pas un ou deux salariés, ni la pratique de l’abattage halal, mais le système, et le système ne changera pas jusqu’à ce que les gens arrêtent d’acheter de la viande.


La vidéo d'enquête d'Animal Aid :