Jonathan Balcombe est Docteur en éthologie et Directeur de la sentience animale chez Humane Society Institute for Science and Policy (Etats-Unis).
Voici un lien vers le site du Dr Balcombe. Nous le remercions de nous avoir autorisé à traduire et reproduire l'article qui suit.
J'avoue que j'ai du mal à dire si c'est en lisant des études scientifiques que j'en ai le plus appris sur le comportement des animaux de ferme, ou si c'est en interagissant directement avec les animaux d'élevage recueillis au refuge où je fais du bénévolat le samedi matin.
En tant qu'éthologue (spécialiste du comportement animal), j’ai parcouru un bon paquet d’articles, traitant de sujets allant des préférences des poules en matière de litière, à l’expression de moments “Eureka” chez les vaches. Mais rien ne remplace l’expérience que l’on fait lorsqu’on gratte le ventre d’un cochon reconnaissant, ou lorsqu’on contemple un groupe de poules prenant un bain de soleil.
Malgré leur injuste relégation aux marges de la respectabilité, les animaux que les humains élèvent pour être mangés comptent parmi les plus étudiés. Si la plupart des recherches sont effectuées dans l’intérêt de l’industrie à maximiser ses profits, une belle quantité d’études purement comportementales a aussi été amassée. À mesure que le tabou scientifique est levé sur l'intérêt d’étudier les pensées et les émotions des animaux, des perspectives passionnantes s’ouvrent sur leur monde intérieur.
Parmi les rapports les plus surprenants, figure une étude sortie en 2004 et intitulée "Les poulets préfèrent les belles femmes". Devant des portraits qui leur étaient présentés, les préférences des poulets se sont révélées incroyablement proches (98%) des préférences qu'avaient exprimées des humains. On ne sait pas bien ce que ça nous apprend sur le sens esthétique des poulets, mais l'idée que des poulets préfèrent certains humains est poignante, vu le traitement misérable que nous réservons ordinairement à ces animaux. Ici, aux USA, nous abattons environ 300 poulets chaque seconde, et ces animaux ne sont même pas concernés par la loi fédérale de protection des animaux au moment de l'abattage.
Ces yeux de poules capables de discernement nous autorisent à imaginer chez ces animaux un cerveau plutôt actif, et beaucoup d'autres études vont aussi dans ce sens. Parmi leurs traits de caractère les plus nobles, on observe chez les poules une capacité à prendre des risques au bénéfice d'autres congénères. Elles disposent par exemple de différents cris d'alarme qui correspondent chacun à différents types de prédateurs aériens : grand, petit, moyen... et qui déclenchent aussi des réactions différentes selon la nature de l'attaque. Même si l'attention du prédateur est inévitablement attirée vers la poule qui donne l'alerte, ces oiseaux n'hésitent pas à prendre le risque d'avertir les autres membres de leur groupe.
Notez que d'un autre côté, ces oiseaux malicieux recourent parfois à la tricherie dans leur propre intérêt. C'est ainsi que certains coqs abusent parfois du cri d'appel à nourriture pour attirer vers eux des femelles, même quand il s'avère qu'ils n'ont pas repéré quoi que ce soit à manger. Néanmoins, il est toujours possible que la "sauterelle" que les coqs avaient repéré dans l'herbe se soit échappée, et que leur crédibilité auprès des femelles demeure néanmoins intacte (à condition de ne pas user de cette ficelle trop souvent).
À juste titre, les cochons sont reconnus comme des animaux intelligents et pleins de ressources. Dans les élevages où la nourriture est distribuée automatiquement en quantité adaptée à chaque animal, certains cochons ramassent les émetteurs qui se détachent parfois du cou de leurs congénères, et s'en servent pour se faire servir une seconde ration à leur place.
Au refuge où je vais, Petey le cochon parvient souvent à se saisir d'un râteau auprès d'un bénévole insouciant, et le porte jusqu'à son nid. Il n'en retire aucune nourriture mais... le voilà avec un nouveau jouet !
En effet, les cochons ont besoin de stimulation. Les cochons élevés dans un environnement social riche et disposant d'une litière paillée et de jeux interactifs sont d'humeur bien plus optimiste que d'autres cochons élevés en enclos nus. Dans une expérience, on habitua des cochons à recevoir une friandise au son d'une cloche, et à s'attendre à quelque chose de déplaisant au son d'un "clic". A l'écoute d'un son ambigu (un couinement), les cochons élevés sur paille réagirent en confiance tandis que les cochons en enclos nus eurent des comportement de fuite.
Ce type de réactions correspond à des attitudes équivalentes chez nous, les humains, et évoquent une vie mentale complexe incluant de l'optimisme, du pessimisme, du bonheur, de la misère. On se prend alors à frémir en pensant aux conditions d'enfermement que tant de millions de cochons endurent dans les élevages industriels.
Une expérience similaire menée avec des chèvres vivant depuis au moins deux ans dans un refuge au Royaume-Uni eut un résultat surprenant : les réponses les plus confiantes à un signal ambigu étaient celles de femelles ayant eu un passé douloureux. Les chercheurs supposèrent que l'optimisme de ces femelles pourrait résulter de la joie prolongée d'avoir été enfin libérées de leur stress passé. De la même façon que nous pouvons nous sentir soulagés d'être libérés de difficultés prolongées, il est possible que les chèvres puissent, elles aussi, voir la vie du bon côté à l'occasion d'une nouvelle situation de liberté et de confort.
De telles études sont précieuses, tant elles révèlent chez les animaux des émotions qu'il est difficile - voire impossible - d'apprécier quand on ne fait que les observer. Néanmoins, d'autres champs de recherche s'attachent à découvrir de nouveaux indices visibles permettant d'interpréter leurs états intérieurs. Selon une étude norvégienne par exemple, la quantité de blanc visible dans l'oeil d'une vache serait un indicateur fiable du niveau de stress et de frustration de l'animal.
Une nouvelle étude suggère par ailleurs que la position des oreilles d'une vache pourrait indiquer si elle se sent détendue ou perturbée. Nous ne devrions d'ailleurs pas sous-estimer la capacité des animaux eux-mêmes à lire des signes subtils sur les visages. Les moutons, par exemple, préfèrent le visage d'un congénère venant d'être nourri (et satisfait) au visage d'un congénère affamé. De même, ils expriment une préférence pour les humains souriants comparés aux visages de personnes renfrognées.
À mesure que la science des émotions et des mondes intérieurs des animaux progresse, la nécessité de mettre un terme à la maltraitance que ces animaux endurent entre nos mains apparait de plus en plus justifiée. Dans ce but, mes collègues et moi-même sommes impatients de lancer prochainement Animal Sentience, la première revue universitaire consacrée à l'étude morale des émotions chez les animaux. Parce que la science nourrit la réflexion éthique, tous les articles de cette nouvelle revue seront consacrés aux moyens de provoquer des changements en faveur des animaux dans les pratiques et dans les politiques publiques.
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Consulter la revue Animal Sentience.