Bannière "Je suis jugée pour avoir donné à boire à des cochons assoiffés. Si j’avais abreuvé des chiens, je serais une héroïne "

"Je suis jugée pour avoir donné à boire à des cochons assoiffés. Si j’avais abreuvé des chiens, je serais une héroïne "


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Par Anita Krajnc.

En juin 2015, pendant une journée torride, j’ai donné à boire à des cochons assoiffés qui se trouvaient à bord d’un camion de transport en direction de l’abattoir. Comme le montre la (désormais célèbre) vidéo de l’incident, le chauffeur a sauté hors de sa cabine pour me dire d’arrêter. J’ai répondu par une citation de la Bible : « Jésus a dit : s’ils ont soif, donne-leur à boire. »
Le chauffeur a hurlé en retour : « Ce ne sont pas des humains, espèce de gonzesse stupide ! »
Il a appelé la police et me voici jugée par un tribunal canadien pour méfait.

 

 

Lorsque quelqu’un souffre, je pense qu'il est injuste de détourner les yeux. Peu importe que celui qui souffre ait deux jambes ou quatre pattes, ou demande de l’aide avec des mots que nous comprenons ou par son langage corporel, tout aussi facile à comprendre. Léon Tolstoï, végétarien éthique et l’une de mes inspirations, a écrit : « Nous devrions avoir pitié des animaux comme nous avons pitié les uns des autres. Et nous savons tous cela, si nous n’étouffons pas la voix de notre conscience intérieure. » 

Il ne fait aucun doute que les cochons que j’essayais d’aider ce jour funeste étaient en souffrance. Entassés dans un camion par une journée étouffante, ces animaux sans défense, couverts de leurs excréments, écrasés les uns contre les autres et suffoquant lentement en raison de la chaleur, me regardaient à travers les lattes métalliques de la remorque, m’implorant des yeux. Comme en a témoigné le docteur Armaiti May, une vétérinaire-experte, pendant mon procès, certains de ces cochons avaient la bouche écumante et étaient en « détresse grave », avec un rythme de 180 respirations par minute. 

 

 

Je pense que non seulement nous avons le droit, mais que nous avons aussi le devoir d’aider des animaux qui souffrent. Toronto Pig Save, le groupe que j’ai contribué à créer avec mon chien, Mr Bean, en 2010, a continué à donner à boire aux cochons assoiffés ce jour-là. Notre démarche consiste à témoigner collectivement du sort tragique des animaux à la fin de leur malheureuse vie et d’organiser des veillées hebdomadaires à l’extérieur des abattoirs.

On pourrait penser qu’un abattoir est le dernier endroit où des amis des animaux voudraient se trouver, mais pour nous, comme pour les Quakers, Greenpeace et d’autres groupes similaires, témoigner consiste à être présents sur les lieux de grande injustice. Ce contact personnel nous met face à d’innombrables anonymes, pour reprendre les mots de Charles Dickens, et aide les gens à voir les victimes animales comme des individus uniques qui veulent vivre.

Je n’ai aucun doute que s’il s’était agi de chiens en détresse dans ce camion, au lieu de cochons, mes actions auraient été applaudies et que c’est le chauffeur qui ferait l’objet de poursuites. Cette situation de deux poids, deux mesures devrait pousser chacun à remettre en question l’éthique de l’industrie de la viande, des produits laitiers et des œufs, notre système juridique et nos choix alimentaires. Tout comme les chiens, les cochons sont des animaux amicaux, loyaux et sensibles, qui ont une vive conscience de soi et de l’intelligence. Ils sont joueurs et affectueux : ils adorent se pelotonner. Ils ressentent l’amour et la joie, mais aussi la douleur et la peur. Ils ont des sentiments protecteurs envers leurs familles et leurs amis. On sait que des cochons peuvent sauter courageusement à l’eau pour sauver des enfants de la noyade. 

Dans Esther the Wonder Pig, un best-seller du New York Times, les papas humains d’Esther confirment la personnalité bien trempée, la vive intelligence et le sens de l’humour de la star porcine d’Internet. Nos lois doivent être changées pour refléter cela : tous les animaux doivent être traités comme des individus pensants et sentients par la loi, parce que c’est ce qu’ils sont. Ce ne sont pas des biens, ni les rouages d’une machine, avec des étiquettes numérotées aux oreilles.

 

Les humains doivent reconnaître qu’ils sont aussi des animaux et que nous sommes tous connectés. Nous sommes comme les animaux par bien des aspects qui comptent : nous ressentons la douleur, nous souffrons, nous avons de la peine, nous avons peur d’être tués et nous avons soif un jour de canicule. En montrant cela aux gens, nous espérons toucher leur cœur pour qu’ils sentent ce que ressentent les animaux. Enfin, nous pourrons mettre fin à cette horrible souffrance dans les élevages et les abattoirs, et passer à une économie végétale non violente.

Nous sommes tous concernés, humains et cochons. Je le suis, littéralement, parce que je risque la prison pour avoir apporté un modeste réconfort à des cochons pendant leurs dernières heures. Mon procès reprend le 1er novembre. La cruauté infligée aux cochons dans les élevages et les abattoirs nous affecte tous, en faisant du mal aux animaux, en polluant l’environnement, en nuisant à notre santé et à notre conscience lorsque nous consommons les produits de cette souffrance. En témoignant pour les animaux en détresse, nous découvrons l’unité de la vie.

 


Ce texte a été publié le 27 octobre 2016 dans The Guardian. Traduit par Françoise Degenne.

Vous pouvez rejoindre la page de Toronto Pig Save sur facebook.

photos: Anita Krajnc / Louise Jorgensen