Le Mépris des « bêtes »
- Article du Lundi 14 juin 2021
« Manger comme un cochon », « être laid comme un pou », « avoir une cervelle de moineau », etc. Qui n’a pas un jour employé une expression dévalorisant les animaux non humains ? Difficile (mais pas impossible !) de faire autrement tant notre langage ne cesse de les discriminer, comme l’explique Marie-Claude Marsolier dans Le Mépris des « bêtes », un lexique de la ségrégation animale.
Dans ce petit ouvrage passionnant et très accessible, cette chercheuse en biologie et en linguistique montre en effet que notre langage ne cesse d’exprimer de la haine et du mépris envers les autres animaux et masque les souffrances qu’ils subissent, traduisant et reconduisant alors la domination que nous exerçons sur eux. De nombreux exemples, issus des dictionnaires de référence ou des expressions courantes, viennent appuyer son propos.
C’est donc un livre captivant dont l’originalité est d’aborder la cause animale par le biais du langage et de montrer toute l’importance qu’il y a à faire évoluer celui-ci si nous voulons parvenir à changer notre rapport aux autres animaux.
« Toute révolution devrait s’accompagner d’une réforme du dictionnaire1 »
Le premier constat de l’autrice porte sur le mot « animal », dont l’emploi vise en général à marquer une opposition forte entre notre espèce et les autres et met dans un ensemble confus toute une diversité d’êtres aux caractéristiques variées, définis principalement par ce qu’ils n’ont soi-disant pas : une raison, un langage ou encore une individualité. « Comment se faire une image mentale claire d’un ensemble mêlant des fourmis, des oiseaux, des escargots, mais excluant les humains ? »
De plus, remarque l’essayiste, notre usage ordinaire de la langue dévalorise constamment les autres animaux, en réservant aux humains certains termes comme « personne » ou « visage », niant par là qu’ils puissent avoir une vie mentale et émotionnelle (ce qui est pourtant aujourd’hui prouvé scientifiquement) ou encore une dignité.
Ceci est également frappant quand on observe les expressions comprenant un animal : en effet, certaines portent avec elles l’idée que les « bêtes » sont malfaisantes (être « une peau de vache » ou « un chacal »), sans valeur (« être lourd comme un âne mort »), ou encore idiotes (être un « pigeon », une « bécasse », etc.). Or, « les autres animaux ne sont pas plus stupides, sales, obscènes ou malfaisants que nous ».
Les mots peuvent aussi travestir des pratiques violentes à leur égard, surtout quand ils sont employés par la filière de la viande, de la chasse ou de la pêche : une vache ou un cochon sont « abattus » au même titre qu’un arbre, des truites ou des sangliers sont « prélevés » ou « capturés » alors qu’un humain est « tué » ou « assassiné ». Et que penser du Cifog qui, pour désigner le gavage des canards et des oies pour la production de foie gras, préfère employer l’expression « alimentation assistée2 » ?
Changer les mots pour changer les choses
Comme le rappelle à juste titre Marie-Claude Marsolier, le langage n’est pas seulement un moyen de communication, il contribue aussi à façonner notre perception de la réalité. Or, notre lexique, et l’usage que nous en faisons, nous amènent à considérer les autres animaux comme des êtres inférieurs, ce qui contribue à légitimer et entretenir la domination que nous exerçons sur eux.
Cette violence symbolique est d’autant plus forte qu’elle est souvent implicite. Des métaphores communes comme « chien battu » ou « vache à lait », par exemple, invisibilisent et banalisent en réalité des situations d’oppression, en donnant l’impression qu’il est normal qu’un chien puisse être battu ou une vache exploitée pour son lait.
L’autrice du Mépris des « bêtes » nous invite donc à interroger la manière dont nous nous exprimons, à lutter contre l’emploi des expressions qui discriminent les animaux non humains, et même à revaloriser ceux-ci dans nos échanges afin de changer le regard que nous leur portons, et la manière dont nous les traitons.
Alors, stop aux « yeux de merlan frit », aux « bête à manger du foin », ou encore aux « poule mouillée ». Ne nous laissons plus illusionner par les mesures qui améliorent le « bien-être » des animaux d’élevage quand celles-ci ne font que réduire leurs souffrances. Et n'hésitons plus à parler de l’intelligence des saumons, des sentiments des chèvres et du visage des moutons3 !
Le Mépris des « bêtes », un lexique de la ségrégation animale, Marie-Claude Marsolier, PUF, 2020.
1. Marina Yaguello dans son essai Les Mots et les Femmes, faisant référence à un propos de Victor Hugo .
2. Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras.
3. Si vous souhaitez en apprendre plus sur le comportement des animaux, consultez notre page Éthologie.