Pauvre Taureau

  • Article du Lundi 16 mai 2011

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Aux femmes de Toulouse.

Noir comme du jais, œil luisant, poil soyeux, les naseaux ouverts,

les cornes en mouvement, il pénétra, leste comme un éclair, parmi

les matadors, resplendissants, de la tête aux pieds, des plus vives

couleurs.

En s’arrêtant soudain, agitant la queue il secoua la tête en

regardant les spectateurs, puis il poussa un beuglement furieux et

sec qui figea mon sang et fit trembler les airs.

« Où suis-je ? que me veut-on ? semblait dire le taureau. Je suis

né pour labourer, vivre au milieu des champs, et me voici enfermé,

seul, pour crèche l’aiguillon, le matador pour bouvier ! »

Deux vieux chevaux, les yeux bandés, le dos orné d’un pesant

picador, attendent, rapetissés, dans le cylindrique abattoir, que le

taureau les éventre, hélas

Piqué par l’un, par l’autre excité, le taureau, étonné, bondit de

tout côté, cependant que le cheval noir, vingt fois blessé, dans un

hennissement mortel fait ses adieux à son frère.

L’œil fermé pour toujours et le ventre grand ouvert de son museau,

badigeonné d’urine et de crotte, il semble lécher le sang qui a coulé

de son corps !

Et tu viens regarder cela, Toi ! femme de Toulouse !...

Le cheval rouant, boitant trainant la selle, laisse le taureau seul,

contre les mantelets et les capes, s’entamer les hanches et les épaules

aux piques, en beuglant de douleur, les cervelles à l’envers.

Il est mouillé de sueur, de sang, et cependant il fait fuir ses

bourreaux, avec lui venus d’Espagne ; un seul, chamarré d’or, qui

ne veut point reculer, est saisi par l’abdomen et secoué sans flegme.

Il tombe tel quel... et l’on applaudit

Le taureau lève la tête et agite la queue: pourquoi tout ce bruit, se

demande la pauvre bête ? Tu n’y comprends rien ? moi non plus

fichtre !

Chut ! on sonne à mort ! le taureau est épuisé ; vous fourreriez

une gourde au fond de ses naseaux ; il souffle comme un tuyau de

fontaine embarrassé et secoue les harpons en écoutant le clairon.

Le matador, beau comme un roi de carton ; taquine sans pitié,

puis saigne le ruminant, qui pirouette un instant en beuglant de

douleur, puis se débat sanglant, les quatre fers en l’air.

L’œil fermé pour toujours et le garrot ouvert, de son mufle,

badigeonné d’urine et de bouse, il lèche, aussi, le sang qui a coulé

de son corps !

Et tu peux regarder cela, Toi ! femme de Toulouse !...