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Cadavre exquis, Augustina Bazterrica

  • Article du Vendredi 26 juin 2020

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À quoi ressemblerait une société où, à la place des animaux que nous consommons habituellement, nous élèverions, abattrions et mangerions des humains dits « comestibles » ? Voilà l’expérience de pensée vertigineuse dans laquelle nous plonge avec brio l’autrice argentine Augustina Bazterrica dans son premier roman, Cadavre exquis, publié chez Flammarion en 2019, qui a reçu un accueil critique très positif. 

Dans ce récit aux allures dystopiques, l’écrivaine dépeint un monde imaginaire où, suite à un mystérieux virus ayant fait disparaître la quasi-totalité des animaux de la surface de la Terre, les humains se mettent à manger d’autres humains, et à faire de ce nouveau mode de consommation, qui n’est un secret pour personne, une véritable industrie.

Avis aux amateurs de George Orwell et de Margaret Atwood, ou tout simplement de romans en général, Cadavre exquis vous procurera un véritable plaisir de lecture !

 

L’industrie de la viande ou le meilleur des mondes

Hypnotisante, l’histoire nous embarque dans un univers anxiogène où certains humains sont désormais considérés comme du bétail. Section des cordes vocales, abattage à coups de massue, et même expérimentations : rien n’est épargné à celles et ceux qui sont nommés « têtes » ou « lots » et qui vivent un véritable enfer avant de finir dans les assiettes.

Dans un style à la fois réaliste et percutant, la romancière propose une intrigue haletante de bout en bout. Marcus Trejo, employé d’abattoir est désabusé par son métier et par le monde qui l’entoure. Marcus est entouré d’une galerie de personnages tous plus cyniques les uns que les autres, comme ce chasseur d’humains conservant les têtes de ses trophées dans son bureau ou encore un éleveur qui souhaite élargir son activité en se lançant dans l’élevage pour la transplantation d’organes car, selon lui, c’est « un bon filon dans lequel investir ».

Mais tout bascule le jour où cet éleveur offre à Marcus une « femelle » qu’il recueille chez lui. Passant outre les lois, Marcus va alors tisser des liens étroits avec elle, au risque de finir lui-même à l’abattoir !

Toute ressemblance avec des faits réels...

Qui dit dystopie dit évidemment parabole. En effet, le traitement réservé à cette viande « spéciale » n'est ni plus ni moins qu'une dénonciation du spécisme et une mise en perspective originale du sort que certains animaux subissent dans le monde réel : modification génétique, élevage dans des cages  et autres tortures physiques ne sont-ils pas le lot quotidien de millions d’êtres réduits à l’état de profits et d’aliments sur pattes ?

Comme dans notre société, les personnages du roman oublient, ou essayent d’oublier, dans une même illusion, que les êtres élevés pour leur chair sont capables de ressentir du plaisir et de la douleur. Cadavre exquis nous ramène alors vers les pratiques de l’industrie de la viande et donne toute leur force aux sombres pensées de Marcos : « Il y a là quelque chose qui évoque la folie du monde, une folie qui peut être souriante, sans pitié, bien que tout le monde soit sérieux. »

Avec un grand talent de romancière, Bazterrica fait donc de la fiction et de l’imagination les médiums idéaux pour dévoiler la cruauté que nous exerçons sur certains animaux, et nous pousser à entrevoir des manières plus justes de vivre avec eux ! 

 

Cadavre exquis, Augustina Bazterrica, Flammarion, 2019.