Le combat d’Amélie pour les animaux
- Article du Vendredi 7 août 2015
Engagée depuis des années pour les animaux au sein de L214, Amélie a accepté de partager son parcours militant. Je vous propose d’aller à la rencontre de cette bénévole d’une gentillesse et d’une énergie à toute épreuve.
Je suis née et j’ai grandi au Canada, j’ai aussi grandi avec le Guide alimentaire canadien qui est l’équivalent du PNNS en France. Ce Guide est partout, on nous l’apprend à l’école, c’est affiché et distribué dans les écoles, on le colle sur son frigo.
Quand j’ai été étudiante à la fac avec, depuis peu de temps, un logement à moi, une des première choses que je me suis demandée a été : « Est-ce que je mange correctement, est-ce que je mange assez de viande ? Si je mange un sandwich au fromage, est-ce que ça remplace la viande ? Est-ce que mon sandwich au beurre de cacahuètes (que j’aime) peut remplacer la viande ? » Je voyais que le Guide suggérait quelques aliments alternatifs (beurre de cacahuète notamment) aux produits animaux, et comme j’étais en train de devenir autonome, je ne voulais pas me tromper sur mon équilibre alimentaire. Ces questions n’avaient rien à voir avec les animaux ni le végétarisme, mais elles m’ont amenée à chercher sur Internet.
Sur Internet, de fil en aiguille et assez vite, je me suis demandée pourquoi des gens étaient végétariens et comment ils faisaient pour manger équilibré. J’ai rapidement trouvé des arguments en faveur du végétarisme, et ça a fait un petit déclic, c’était quelque chose comme : « Ce n’est pas bête ce qu’ils disent, je vais y réfléchir ! ». Les réflexions sur la souffrance animale me semblait de bonnes réflexions, même si c’était assez diffus.
En une année, je suis passée de carniste à végane.
Puis, je me suis fait offrir pour Noël 2002 un livre de cuisine végétarienne, et j’ai appris à cuisiner en devenant végétarienne et adulte. Vers février, quand j’ai senti que j’avais suffisamment de recettes qui me plaisaient, j’ai déclaré que j’étais végétarienne, même si je mangeais alors encore du poisson. Mes parents habitaient une région côtière où on vivait de la pêche, c’est peut-être à cause de ça. À la fin de l’été, j’avais lu le livre Végétarien... mais pas légume ! (« être légume » signifie « être idiot » en québécois), c’était très axé sur la santé, la planète, le Tiers-monde, les animaux, et comme j’avais déjà avancé dans ma réflexion j’étais plus en capacité de réfléchir à la question des animaux. Cette fois, ma remise en question incluait aussi les poissons. J’ai donc arrêté de manger les poissons et j’ai commencé à tester des recettes sans produits animaux, et quelques mois plus tard j’ai déclaré que j’étais végétalienne. Internet a joué un rôle vraiment décisif dans mes choix, j’y trouvais des réponses à toutes les questions farfelues qui pouvaient me traverser l’esprit, surtout que je ne connaissais pas vraiment d’autres végétariens, j’étais assez isolée.
Quand je suis revenue passer l’été chez mes parents, j’ai senti ma mère un peu sur la défensive. Je l’ai rassurée en lui disant que j’allais me faire à manger. Comme ma famille appréciait ce que je préparais, ça s’est bien passé. Maintenant, ma mère a appris à cuisiner certaines recettes qui me conviennent.
Par contre, ça a été bien plus compliqué avec ma belle-famille française, où j’ai bien senti que refuser de la viande était un enjeu, surtout aux repas familiaux. À Noël par exemple, il y avait plusieurs plats de viande, et même si j’apportais mes plats, toute cette viande me pesait. Je me souviens d’une fois où une pièce de viande était posée sur un plat, mais du sang coulait sur la nappe blanche. Pour moi, ce n’était pas une ambiance de fête. Quand j’ai parlé de ça à ma mère, elle m’avait suggéré de faire des pizzas végétaliennes pour Noël. C’est là qu’on voit bien l’écart culturel : au Canada, Noël ne tourne pas autour de la nourriture. Même s’il y a des plats traditionnels, le repas de Noël dure une petite heure et puis on passe à autre chose, aux cadeaux, etc.
En France, on a souvent l’impression qu’ailleurs ça avance mieux et plus vite pour les animaux mais, au moins par rapport au Canada, je suis pourtant loin d’en être sure. Il n’y a pas là-bas de mouvement comparable à ce qui se passe en France. En 2013, j’ai participé à la Marche pour la Fermeture des Abattoirs à Toronto, j’étais contente car l’esprit de la marche avait bien été repris, mais on était entre 200 et 300 contre presque 1000 personnes à Paris la même année.
Au début, j'avais envie de débattre avec tout le monde.
Puis, j'ai compris que c'était épuisant, peu efficace,
et que les enjeux étaient ailleurs.
Au début de mon végétalisme, j’avais envie de débattre avec tout le monde et de convaincre mon beau-père, mais on tournait en rond et, au final, je ne profitais pas de la présence des autres. Depuis, j’ai dépassé la phase de vouloir militer dans mon entourage, j’ai compris que ce n’était pas là l’enjeu. À la Veggie Pride de Genève en 2013, j’ai vu une conférence d'Anoushavan Sarukhanyan qui m’a pas mal confortée à ce sujet : c’était pour sortir de la stratégie de la conversion qui postule que si on veut changer la société, on doit commencer par changer autour de soi et que ça fera boule de neige. C’est une idée quand même très répandue, mais cette conférence démontrait bien que ça ne peut pas marcher comme ça. L’article dans Les Cahiers antispécistes « Démanteler l’industrie de la viande » d’Erik Marcus m’a aussi confortée dans ce que je pensais déjà sur ce qu’il est important de faire.
C’est la même chose aujourd’hui à mon travail : mes collègues me posent parfois des questions sur mon végétalisme mais ça ne va pas bien loin, c’est notre travail qui passe en priorité et je mets mon énergie ailleurs.
Mes débuts dans le militantisme ont été un peu compliqués, je ne savais pas vraiment à quoi me rattacher. Mon engagement pour les animaux a, là encore, commencé par Internet. J’étais sur un groupe de discussion féminin lyonnais sur la cuisine végétarienne en 2004. On s’est rencontrées, c’était sympa, on faisait un repas par mois, l’occasion rêvée de se dépasser en cuisine ! Puis les filles ont créé l’association Avely (qui n’existe plus) avec laquelle j’ai fait mes premiers stands, par exemple pour des journées contre le spécisme.
J’ai bien aimé aussi la première Veggie Pride où je suis allée, à Paris en 2004. J’ai fait partie de l’organisation pour les cinq années suivantes, mais je n’étais pas très à l’aise parce que je n’ai pas l’âme d’une organisatrice (mais ça, je l’ai découvert après).
En même temps, j’étais alors étudiante pour être infirmière et je n’avais vraiment pas beaucoup de temps à consacrer au militantisme.
J’ai aussi été aux Estivales de la question animale, où j’ai découvert Stop Gavage, qui allait devenir peu de temps après L214.
Puis à partir de 2012, avec mon copain de l’époque, j’ai participé aux campagnes Monoprix de L214 et à des actions de l’AVF, on a tenu des stands et participé à des salons.
Ces dernières années, je me suis beaucoup impliquée à L214, avec qui j’ai participé à nombre d’actions. J’aime bien l’action barquette même si ça me stresse parce que ça peut être perçu de façon assez violente par les passants, mais c’est une violence qui est bien utilisée, parce qu’on est là avec un discours adapté, non agressif, qui pose les mots sur ce qui peut choquer. C’est une action très visuelle qui interpelle vraiment les gens, c’est facile de leur parler des animaux. Quand les gens disent : « C’est choquant ce que vous faites », il suffit de leur expliquer : « La personne qui est dans la barquette est vivante et volontaire, et on ne va pas la manger ! Alors que dans les supermarchés, il y a des barquettes semblables avec des morceaux d’animaux qui voulaient vivre, et c’est infiniment plus choquant que ce que vous voyez ».
L’action compteur a un côté tragique et émouvant, c’est une concrétisation du nombre d’animaux tués en temps réel dans les abattoirs, ça donne la mesure de l’ampleur du massacre. Ça me touche beaucoup et me donne de l’énergie militante.
La Vegan Place est vraiment une action complète où beaucoup de militants interviennent de façon différente, on peut être au cœur du sujet en accompagnant les gens dans leur prise de conscience, dans leur confrontation avec la réalité. Les gens voient à la fois la réalité et l’alternative.
Outre mon implication à L214 sur le terrain, je prends aussi en charge des tâches de logistique, comme des travaux de couture pour réaliser des costumes, des nappes, etc. J’ai créé huit costumes de « poules amochées », et ça a été une tâche très satisfaisante pour moi, je me suis sentie utile. Je cuisine aussi 400 cookies pour chaque Vegan Place à Lyon, je fais souvent des photocopies, des étiquettes, des mises sous pli, etc. Prendre en charge ces choses est ma façon d’aider. J’ai désormais identifié ce qui me plaisait et était utile et ce qui me pesait, et je n’hésite plus à dire « non » si ça ne me convient pas.
Je me retrouve totalement dans la démarche de L214, dans cette façon d’être à la fois audacieux en osant demander des choses aux gens, mais de le faire de manière posée. Pour moi c’est important de défendre vraiment les animaux avec la dimension de l’abolition, tout en tenant compte de la réalité de la société telle qu’elle est maintenant mais sans que cette réalité ne fasse perdre espoir, et de respecter ses interlocuteurs.
Pour moi, L214 arrive à concilier un projet ambitieux
et la réalité, en cherchant sur quoi on peut agir.
Je crois vraiment que c’est comme ça que ça va marcher.
J’ai d’ailleurs l’impression que le mouvement grossit, et de plus en plus les gens que je croise ont déjà rencontré un végé ou ont vu un reportage à la télé, ils voient mieux de quoi il s’agit qu’il y a dix ans. C’est quelque chose que je constate au quotidien, et c’est vraiment motivant pour continuer à avancer !