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À quoi pensent les poissons ?


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S’il devait y avoir un livre à retenir pour une première plongée dans l’univers des poissons, c’est bien celui de l’éthologue Jonathan Balcombe. Paru en 2016 et tout juste traduit en français, À quoi pensent les poissons ? s’est rapidement imposé comme l’un de nos coups de cœur de l’année. Au fil des pages, l’auteur nous fait découvrir avec passion, aisance et rigueur scientifique ces êtres injustement méconnus, cachés dans les profondeurs des océans ou murés dans le silence de l’eau sale et surpeuplée des bassins d’aquaculture.

 

Un poisson, des poissons

« Poisson » : dès les premières pages, Jonathan Balcombe s’attache à déconstruire ce terme, qui regroupe sous une appellation unique 60 % des vertébrés de la planète, soit des milliards d’individus... À ce compte-là, on imagine bien que les différences entre espèces et, a fortiori, entre individus sont très importantes. L’auteur nous indique, par exemple, qu’il existe plus d’écart sur le plan de l’évolution entre un requin et un thon qu’entre un thon et un humain !

L’éthologue prolonge son propos en nous familiarisant avec les différents groupes et sous-groupes de poissons. Il souligne les similitudes, il pointe les divergences. Il nous montre aussi et surtout que chaque poisson est un individu singulier appartenant à une espèce aux caractéristiques particulières. Dès lors, comment comparer des espèces aussi différentes que le poisson-lune (qui produit 300 millions d’ovocytes par an), le requin-renard (dont le temps de gestation est de 3 ans) et le chien de mer (un petit requin dont la maturité sexuelle n’intervient qu’à l’âge de 35 ans) ?

 

Des êtres étonnants

Jonathan Balcombe ne se contente pas d’individualiser ces êtres sensibles : il nous fait aussi découvrir tout un univers inconnu et s’attaque, par là même, aux idées reçues les plus tenaces. Saviez-vous par exemple que la carpe koï, bien que muette, reconnaît les différents genres de musique ?  Que le poisson rouge a une mémoire à long terme ? Que les poissons jouent, y compris avec d’autres espèces non aquatiques ? Qu’un saumon qui a senti dans les déjections d’une loutre des résidus d’autres saumons en a peur toute sa vie ? Que le thon rouge prend des bains de soleil ?

À quoi pensent les poissons ? est une mine d’informations pour qui s’intéresse aux animaux. Dans une langue accessible, l’éthologue balaye aussi bien les capacités cognitives de ces animaux que leurs morphologies ou leurs comportements. Au détour d’une page, on apprend ainsi que certains poissons utilisent d’autres espèces pour chasser, que certains individus communiquent en grinçant des dents ou en expulsant des bulles par l’anus ou que l’odorat de certains requins est 10 000 fois plus développé que le nôtre. L’éthologue accorde une grande importance à la connaissance de ces animaux aquatiques car, d’après lui, « l’empathie, qui est la capacité à se mettre à la place d’un autre, naît de la compréhension de son vécu. » L’enjeu est donc de taille.

 

Les poissons, premières victimes de notre indifférence

« Mais à vanter les qualités mentales d’une espèce, on gonfle l’importance de l'intelligence qui n’a pas grand rapport avec la valeur morale », souligne Jonathan Balcombe. Car, quelles que soient ses capacités, chaque poisson est un individu sensible capable d’éprouver des émotions comme la joie, le stress et la souffrance. Bien que résolument positif, À quoi pensent les poissons ? ne nous épargne donc pas la triste réalité de la production de poissons pour la consommation humaine.

En effet, d’après la préface rédigée par Lamya Essemlali, présidente de l'association Sea Shepherd France, 97 % des animaux tués pour leur chair sont des poissons. Qu’ils soient pêchés par des chalutiers ou élevés dans des fermes aquacoles, ces milliards d’êtres sensibles souffrent des transports, des manipulations hors de l’eau et de méthodes d’abattage souvent violentes. À ces tristes pratiques s’ajoutent les nombreux poissons victimes de la pêche fantôme, qui meurent piégés par l’un des innombrables filets abandonnés en mer. S’ajoutent aussi les millions d’animaux marins pris dans les mailles des filets de chalutiers qui visaient d’autres espèces, et qui sont rejetés à la mer blessés ou mourants. « Les animaux victimes de notre pillage des océans sont en nombre si astronomique qu’il nous est difficile d’établir avec eux un rapport émotionnel », déplore l’auteur.

Ce livre est donc d’autant plus précieux qu’il nous confronte à nos propres agissements. Des agissements qui ne cessent de s’aggraver puisque, d’après la FAO, un humain consomme aujourd’hui 18,44 kilos de poissons par an, soit deux fois plus qu’en 1960. Or, en tant que consommateurs, nous pouvons tous décider de faire autrement et refuser de les manger.

 

Apprendre à remplacer les poissons en cuisine

Jonathan Balcombe, À quoi pensent les poissons ?, La Plage, 2018.