"Les animaux pensent-ils ?"
- Article du Mercredi 3 septembre 2014
De récentes et nombreuses découvertes scientifiques attestent que les animaux sont beaucoup plus intelligents qu’on ne le croyait. Il suffit pour s’en convaincre de regarder l’un des nombreux reportages désormais consacré à ce sujet, comme celui actuellement diffusé sur Arte : « Les animaux pensent-ils ? ». Ce documentaire, réalisé en 2012, révèle quelques-unes des dernières découvertes concernant les aptitudes cognitives des animaux.
On découvre que la guenon chimpanzé Ai et son fils Ayumu sont capables de travailler sur des symboles aussi abstraits que des chiffres romains, et que leur mémoire numérique dépasse largement celle des étudiants humains qui se mesurent à eux.
On y voit des primates, mais aussi des corbeaux californiens et des choucas se servir d’outils, des cacatoès parvenir à ouvrir des mécanismes comprenant cinq systèmes de fermeture différents, une pie tenter d’enlever un gommette jaune fixée sous son bec (non visible pour elle) après s’être vue dans un miroir.
Tous ces exercices, et bien d’autres, attestent indubitablement que les animaux peuvent faire preuve de persévérance, d’habileté, d’innovation, de curiosité. Ils possèdent de grandes capacités d’apprentissage et n’hésitent pas, à l’instar des corbeaux, à transmettre à leurs petits de nouveaux savoirs, les transformant ainsi en savoir collectif de leur espèce. Mieux, il est désormais scientifiquement établi qu’ils sont capables de planifier leurs actions et d’avoir conscience de leur existence. À mille lieues des croyances de Descartes et de ses animaux-automates, les scientifiques ébahis découvrent que certains animaux, tels les chimpanzés, savent qu’ils savent quelque chose et évaluent leurs stratégies comportementales en fonction de ce critère. Ils possèdent une théorie de l’esprit et ils peuvent se mettre à la place de l’autre, ils savent ce que l’autre sait ou ignore. Autrement dit, les chimpanzés possèdent une des formes de conscience les plus complexes qui soit : la métacognition – qui était soi-disant jusqu’alors l’apanage des humains. Même des insectes possèdent une conscience immédiate.
De nombreux animaux, comme les pigeons, sont capables de former des catégories (encore une spécificité du genre humain qui s’effondre), or la catégorisation est ce qui nous permet d’ordonner intellectuellement notre environnement, de sortir du chaos qui nous entourerait sans cette faculté.
Indubitablement, nous ne sommes pas les rois de la création. Le professeur Gerhard Roth de l’université de Brême ajoute même : « Même si nous pouvons affirmer que nous sommes les plus intelligents, il n’est pas certain pour autant que nous soyons les plus sensés ».
Pourtant, comme le note avec justesse David Chauvet : « Peu de gens réalisent à quel point nos représentations de l’animal ont été bouleversées en trente ans, y compris par les éthologues eux-mêmes. L’animal est devenu un sujet, non pas parce que nos projections populaires et affectives nous le font voir ainsi, mais parce que les travaux scientifiques les plus modernes ne nous laissent pas le choix. [Pourtant] on ne nous enseigne pas que les animaux sont des êtres conscients. [...] Il n’est donc pas exagéré de dire que les connaissances populaires sur les animaux accusent un retard d’une trentaine d’années. » (1)
Même les scientifiques qui étudient les animaux et s’émerveillent de leurs capacités restent pour l’instant incroyablement timorés. Forts de leurs découvertes, ils devraient exiger que la place accordée aux animaux dans nos sociétés soit radicalement revue. Certes, il y a eu la Déclaration de Cambridge où, en 2012, un groupe international d’éminents chercheurs, spécialisés dans différentes disciplines neurologiques, a affirmé que : « La force des preuves nous amène à conclure que les humains ne sont pas seuls à posséder les substrats neurologiques de la conscience. Des animaux non humains, notamment l’ensemble des mammifères et des oiseaux ainsi que de nombreuses autres espèces telles que les pieuvres, possèdent également ces substrats neurologiques. »
Mais des millions, des milliards d’animaux continuent de souffrir à travers le monde comme si de rien n’était. Privés d’éléments aussi vitaux et élémentaires que l’espace, la lumière, l’air frais, les rapports sociaux, ils servent à fournir de la viande, de la fourrure, à divertir des humains dans une arène, un cirque, lors d’une partie de chasse, quand ils ne sont pas tués à petit feu dans des laboratoires ou agonisent pendant des heures sur les ponts des bateaux.
En regardant « Les animaux pensent-ils ? », on réalise d’ailleurs qu’à peu près rien ne nous est dit des conditions de vie des animaux étudiés par les scientifiques. Des bribes de phrases, des insinuations, nous font comprendre que certains ont probablement été capturés dans leur habitat naturel, que d’autres sont déplacés d’un centre à un autre au gré des besoins des chercheurs, au mépris de leurs liens sociaux. Quelles sont leurs conditions d’enfermement dans les centres de recherches ? Qu’est-il arrivé au corbeau qui est en partie déplumé ? Ces animaux ne s’ennuient-ils pas ? Ne sont-ils pas en partie sacrifiés pour satisfaire la curiosité humaine ? Frans de Waal, professeur de psychologie, s’interroge quant à lui sur la façon dont sont menées ces recherches et souligne comment les animaux y ont très souvent été, et peuvent encore être, confrontés à des situations inadaptées à leur morphologie ou, plus simplement, à notre anthropocentrisme forcené.
Au-delà de l’intérêt évident que constituent ces recherches sur la conscience et l’intelligence des animaux, elles ne devraient pas faire perdre de vue que le plus important n’est peut-être pas le degré ni la forme d’intelligence, mais la capacité qu’ont les animaux de ressentir des émotions et la souffrance. Et elles devraient avoir pour perspective essentielle et urgente une réforme concrète du sort que nous réservons aux animaux.
Clèm Guyard
Rediffusion du documentaire "Les animaux pensent-ils ?" sur ARTE : dim 07.09.2014 à 9h45 (aussi sur Youtube)
(1) David Chauvet, La mentaphobie tue les animaux, Droits des Animaux, 2008, p. 28.