Lettre envoyée à l'hebdomadaire Marianne suite à l'article rédigé par Daniel Bernard intitulé Une Nouvelle famille idéologique : les Végétariens paru le 29 juin 2013 dans le numéro 845, en lecture ici.
Cher journal Marianne,
Un article sur le végétarisme dans un grand média français ! Enfin ! Un journal d'envergure s'intéresse à la question ! Je l'ouvre fébrilement, pensant y lire un traitement "de fond" sur ce sujet, je lis le premier paragraphe et le ton est donné ! Je tombe des nues !
Je continue malgré tout, pensant y trouver quelques nuances, pensant même, naïvement, que ce n'est que du "second degré" mais ma déception grandit !
Je me doutais que le végétarisme serait traité sous son aspect culinaire, culturel et environnemental certes ; mais je pensais qu'il aborderait, même superficiellement, la "question animale", ne serait-ce qu'en interviewant ceux qui ont fait ce choix pour des raisons philosophiques ou éthiques. J'esperais y voir figurer les noms des grands penseurs et théoriciens de la "question animale" comme Théodore Monod ou Albert Schweitzer, de philosophes comme Jérémy Bentham, Peter Singer, Elisabeth de Fontenay ou Florence Burgat, d'éthologues comme Mark Bekoff ou Boris Cyrulnik pour ne citer qu'eux...Ou même que serait fait simplement mention de penseurs moins connus qui rédigent les Cahiers antispécistes. Bref, à un véritable article traitant des divers aspects et motivations des végétariens qui est bien loin de se limiter à une affaire de silhouette ou de santé et qui dépasse même la simple question environnementale ! Ce choix touche à notre rapport à l'Autre, fut t-il "non-humain" et le végétarisme pose cette question.
Evolution of revolution de Hartmut Kiewert
Au lieu de cela, je ne trouve que mépris et arrogance dans le ton de l'article, des idées reçues en tout genre réduisant cette idéologie à une description totalement stéréotypée de parisiens parisiannistes bobos et nombrilistes qui se poseraient visiblement de faux problèmes. On nous parle de gens pratiquant le yoga, prenant soin de leurs muscles et de leurs corps, ne laissant pas la parole à ceux qui ont choisi d'être végétariens après avoir mené une vraie - et souvent longue - réfléxion sur ce qu'est véritablement "l'animal" et sur ce que notre culture en a fait. Les fondements de l'éthique n'ont rien à voir avec des gens qui se sentiraient supérieurs et "feraient la morale" comme un personnage sorti d'un roman de la comtesse de Ségur.
Oui, le nombre de végétariens augmente mais il n'est pas encore venu le moment en France où un journal à grand tirage saura aborder cette question sans la railler.
J'ai peu d'espoir, étant donné le ton de l'article, que vous preniez la peine de publier ma réponse dans le prochain numéro. C'est une vraie déception pour moi que Marianne, que j'apprécie par ailleurs, puisse traiter d'un tel sujet de cette manière !
Christine, militante pour les animaux et adhérente L214
C'est dimanche matin, j'ouvre Ouest-France en buvant ma tasse de café et découvre qu'un élevage à 1h de la maison ouvre ses portes dans le cadre de l'action de com' de la filière agricole. Endimanchée, je saute dans l'auto pour aller voir de plus près les cochons bretons.
Je pensais y voir une demi-douzaine de personnes à tout casser... mais quelle surprise en arrivant ! Il y a au moins 60 voitures et pas de la petite Twingo que de la grosse familiale !
Un gars en gilet jaune fait même la circulation, je me gare dans un champ comme au fest-noz. Je marche un peu dans les ornières et un autre gars, vêtu d'un tee-shirt rose fuchsia imprimé Changeons de regard sur l'élevage de porcs, m'accueille « Bonjour, Madame, bienvenue ! ».
La visite va commencer
Je me rends à une table où je dois indiquer mes coordonnées, on me remet une tenue complète : chaussons, charlotte et blouse jetables.
Un gars de l'association Agriculteurs de Bretagne fait un speech sur l'utilité du lisier comme engrais, bla bla bla.
Hop, j'intègre un groupe de 25 personnes composé d'enfants et de parents armés d'appareils photo pour prendre chéri-chéri à coté des cochons enfermés, bref...
C'est un élevage de truies gestantes et de porcs à l'engraissement de taille moyenne.
1er bâtiment : Alimentation, il font leur propre mélange sur place, au menu : soja du Brésil et céréales.
2e bâtiment : C'est la maternité, c'est-à-dire des truies allaitantes en stalle avec leurs petits, moment très attendu par les enfants. Je demande : « J'ai cru comprendre qu'il y avait une nouvelle loi pour les truies, c'est quoi exactement ? » l'éleveur répond : « Depuis le 1er janvier 2013, les truies doivent être placées en box 3 semaines après l'insémination et remises en stalle 1 semaine avant la mise-bas, avant elles étaient en stalle tout le temps. Il a fallu faire des travaux, nous verrons ça tout à l'heure ».
On visite, chacun fait son p'tit tour. Il y a une fiche suspendue par animal, sur l'une d'entre elles est inscrit « écrase ses petits », je dis : « Pourquoi c'est écrit "écrase ses petits" ? ». Il répond : « Lorsque la mère s'allonge il peut y avoir un petit en-dessous alors il meurt étouffé, c'est la principale cause de mortalité des porcelets » Gloups.
Les enfants regardent, les parents les surveillent des fois qu'une truie s'échapperait... Les enfants prennent les petits cochons dans les bras, les mamans prennent les photos, c'est tellement chou... J'interroge : « À ce qu'il paraît on castre les porcelets, j'ai du mal à y croire, c'est vrai ? » Il répond un peu gêné : « Les cochons développent 2 hormones qui, s'ils ne sont pas castrés, dégagent une forte odeur à la cuisson et ça incommode le consommateur » mais rassure en nous affirmant que la castration dure seulement 2 secondes et qu'en 2015 cette pratique s'arrêtera.
J'aperçois un jeune père de famille scotché à une vitre derrière laquelle se trouvent des truies entravées avec leurs porcelets nouveaux-nés.
Truie allaitante en stalle - entravée pendant 1 mois
On passe dans la fameuse salle « bien-être ». Les truies sont donc enfermées dans des cases collectives par groupe de 6 voire 7 individus.
Trois personnes demandent : « Pourquoi sont-elles griffées, abîmées ? » Il nous explique que depuis que les truies vivent en groupe pendant la gestation, elles se battent car il y a des dominantes et des dominées, parfois elles perdent même leur portée voire elles se cassent les pattes.
Je dis : « Oh ! C'est quoi la chaîne suspendue au fond de chaque box ? » « C'est Bruxelles qui nous demande ça, c'est un jouet pour les occuper, moi je trouve ça un peu débile » répond l'éleveur.
Le jeune père de famille regarde immobile les truies et demande à l'éleveur : « Mais à quel moment elles vont dehors ? » « Le jour où le camion arrive » lui balance-t-il (ndlr : le camion qui va à l'abattoir). Je vais le voir discrètement et lui dis : « Ça ne donne plus envie d'en manger, hein ?! ». On papote un peu et j'ajoute tout bas : « Et vous savez qu'ils leurs rognent les dents et leurs coupent la queue ? ». Il découvre tout ça et semble dégoûté.
Truies en loge collective - normes 2013
On rentre dans une autre salle où on nous présente le verrat, un gros pépère enfermé qu'on fera passer devant les truies déjà en stalle pour que l'éleveur sache à quel moment elles sont prêtes à être inséminées... J'entends quelqu'un lancer « Même le verrat n'a pas droit à sa part belle ! ». Bah oui les truies sont toutes inséminées artificiellement.
3e bâtiment : post-sevrage avant engraissement, des jeunes cochons en groupe toujours enfermés, placés sur un sol bétonné. Les enfants leur tendent les bras mais ils se réfugient tous au fond du box, paniqués. Je glisse à l'oreille d'une petite fille : « Tu leur fais peur ! » elle s'en rend compte et arrête.
Jeunes cochons en box bétonné
4e bâtiment : engraissement comme les jeunes cochons mais ils sont plus grands. Ce bâtiment se termine sur un couloir bétonné en plein air avec des douches. C'est là que les cochons et les truies attendront entre 1h et 6h le camion pour l'abattoir.
Triste journée
L'ambiance générale n'avait rien de joyeux... ça ne ressemblait pas à une visite guidée de musée. Au fur et à mesure l'ambiance était de plus en plus lourde. Les cases « bien-être » et les truies en stalle attendant d'être inséminées, ça a bien plombé.
Un dimanche pas comme les autres, les Bretons ont pu voir l'envers du décor, ceux qui ont eu le courage d'affronter le regard d'une truie ne verront certainement pas de la même façon leur tranche de jambon ou leur merguez grillée, du moins, pendant quelque temps...
Beaucoup de pensées m’ont traversé l’esprit pendant que je participais, samedi 25 mai dernier, à une action de l'association L214 pour l'abolition de la viande et la la fermeture des abattoirs.
Je pensais au panneau que j’avais choisi parce qu’il montrait une poule en train de se faire décapiter.
Ses yeux fermés par l’agonie, son sang répandu me semblaient représentatifs de la tuerie qui dévore des millions et des millions de poules et poulets. Chaque année, en France, 800 millions de poulets de chair et 47 millions de poules pondeuses sont ainsi assassinés. À l’abattoir, ces oiseaux sont rapidement extraits des caisses et suspendus à des crochets sur une chaîne automatique, puis ils sont plongées plongés dans un bain à électronarcose. Au moins un oiseau sur dix n’est pas étourdi, généralement parce qu’il parvient à relever la tête. Je me suis demandée si la poule sur mon panneau avait été égorgée consciente…. J’avais choisi ce panneau parce que les poules et les poulets, avec les poissons, comptent parmi les animaux les plus méprisés qui soient, ce qui n’est pas rien ; quantités négligeables connus rôties empalées à des broches ou sous formes de nuggets, en bouillon ou en soupe, et non reconnus pour les êtres sentients qu’ils sont.
Ce panneau et tous ceux portés par d’autres personnes montraient les réalités de l’abattage pour les poules, cochons, lapins, vaches, veaux, poissons…
Ces images d’animaux égorgés, éventrés, asphyxiés en disaient plus long que tous les discours. Mais les textes qui ont été lus cet après-midi là, au cœur de Lyon, étaient aussi parlants que nos photos. Il y était question des oubliés, des maltraités, des silencieux, des innocents. Il y était question de la fin des abattoirs, terrestres et flottants. Un hommage vibrant a été rendu à nos colocataires de ciel, terre et mer ; un appel a été lancé pour que la non-violence règne enfin sur cette Terre.
Je pensais que si notre action rendait une seule personne végétarienne, des dizaines d’animaux seraient épargnés. Voir des passantEs, émuEs, interloquéEs, rester regarder, écouter, comprendre, prendre nos tracts, discuter à la table de presse, suffisait à attester du bien-fondé de notre action. Leur émotion, leur empathie effaçaient ceux qui passaient, affairés ou provocateurs, encore incapables de se pencher sur l’enfer qu’ils font subir aux animaux.
5 000 animaux tués toutes les dix secondes.
En une heure en France, le temps qu'aura duré notre action, 1 800 000 animaux ont été tués inutilement pour satisfaire nos désirs alimentaires, après avoir vécu une vie d’enfer, entassés dans des bâtiments par milliers et pourtant sans vie sociale, mutilés, sélectionnés génétiquement.
Malgré la tristesse sans fond que le massacre des animaux éveille en moi, samedi dernier j’ai été heureuse et fière. Heureuse, car nous étions une cinquantaine à donner un peu de notre temps et de notre personne, à nous être organisé pour parler publiquement au nom des animaux. Fière de compter parmi ces cinquante personnes qui tentions d’éveiller les consciences, l’empathie et la raison d’autres humainEs. Nous avons été vuEs par des centaines de personnes qui ont pris quantité de photographies.
Se battre pour ses convictions est toujours un acte en deux étapes. D’abord, elles sont personnelles, on n’ose à peine les partager, les
faire entendre. On ne veut pas empiéter sur la liberté de chacun, qui ne manquent d’ailleurs jamais de nous le rappeler, lorsque nous
venons à ébranler un tant soit peu ce qu’ils considèrent comme acquis par éducation.
Mais il faut vite réaliser qu’un combat ne se mène jamais pour soi. Il ne fait sens que s’il est partagé, montré, entendu. Il faut passer à
l’action.
Je suis végétalien. Cela n’a pas toujours été le cas. Ayant grandi dans le sud ouest, je suis un enfant du foie gras, de la saucisse et des
fromages en tout genre. Comme tout le monde, on m’a appris à voir tous ces aliments comme de simples produits. Chez nous, on met
du foie gras dans la bouche d’un enfant dès qu’il a des dents. Il se doit d’aimer.
Mais la viande, les produits laitiers, les oeufs, le cuir, la laine, ne sont pas des produits. Ce sont des parties d’êtres vivants. Même si tout
est fait pour que vous ne le voyiez pas. Je lis déjà les commentaires, tous entendu des centaines de fois. « La viande, le lait sont
nécessaire, nous avons une conscience que les animaux n’ont pas, nous avons toujours mangé de la viande, oui mais le goût » ... Tout
ceci est faux, n’est pas valable. Ne l’est plus depuis longtemps. Et tout ce système nous dépasse largement.
Mais je ne tenais pas à écrire ce texte pour m’étaler sur mes choix, ou pour expliquer pourquoi vous n’avez plus aucune raison de
manger des animaux, ou des aliments provenant d’animaux.
Lundi 25 mars 2013 était diffusé sur M6 un épisode de l’émission « Top Chef ». Je ne critiquerai pas l’utilisation de viande ou de poisson
dans l’ensemble des plats, considérés comme aliments de base de tout. Après tout, on parle de cuisine traditionnelle, classique, de
terroir français. Bref. Une épreuve en particulier se déroulait à Rungis. Les candidats devaient créer un dessert à base de viande, et
avaient pour cela accès à l’un des points de distribution les plus importants qui existe.
J’ai été choqué par le choix de la production de filmer l’ensemble de cette épreuve au milieu de centaines de carcasses d’animaux
suspendus. Je ne pouvais pas croire qu’encore aujourd’hui, une chaîne de télévision nationale puisse mettre en scène une émission
dans un tel contexte, sans se rendre compte à un seul instant que cela pourrait toucher une partie de ses spectateurs.
Encore une fois, nous avons affaire à une représentation de la viande dont on fait disparaître tout aspect vivant. Au milieu de l’ambiance
clinique des chambres froides, ces corps nettoyés ne surprennent personne. Ouvrez les yeux. Ces porcs tranchés en deux, ces
carcasses de boeufs détaillés, saignants, suspendus les uns contre les autres, ne sont pas des aliments. Ce sont des être-vivants.
Conscients, capables de souffrir. Abattus dans des conditions que nous connaissons tous aujourd’hui, dont nous savons tous
les détails, même s’il est toujours plus facile de refuser de les voir.
Je ne pouvais pas laisser passer cette énième banalisation de l’abattage de masse, utilisé ici comme le décor d’une mise en scène on ne peut plus glauque. Je ne suis pas un homme
politique, je ne suis pas un philosophe, je ne suis pas journaliste,
je n’écris pas pour déballer des faits, des chiffres, pour vous
prouver combien nous avons tort. À tous ceux qui me disent, jour
après jour, que je dois respecter leur choix de consommer de la viande (comme si c’était un choix, ou une opinion), me respectez-vous,
vous, dans mes choix ? Nous ne faisons que faire remarquer que le massacre d’êtres vivants n’est pas nécessaire à l’alimentation, et
vous nous lancez au visage des corps dépecés, découpés, décapités ?
Je suis simplement fatigué. Fatigué de constater à quel point nous refusons de voir, à quel point nous pouvons faire preuve de cynisme,
sans même le vouloir, sans même nous rendre compte à quel point nous sommes blasés de tout. Nous avons tout banalisé, nous ne
nous étonnons plus de rien. Nous observons des candidats se faire juger au milieu d’un cimetière de milliers de cadavres sans sourciller,
sans réaliser à quel point nous sommes détraqués.
J’ai de la peine pour notre société. Se révolter ne demande plus beaucoup d’efforts aujourd’hui, et écrire une lettre peut se faire en
restant assis.