Hommage au lapin mort tenu dans mes bras

  • Article du Dimanche 20 octobre 2013

J’exhibe aujourd’hui ton corps pour sauver des vies. S’il est trop tard pour toi, des milliers sont encore vivants et des millions sont à venir – insémination artificielle oblige –, forcés à naître pour satisfaire l’appétit d’amateurs de civets et divers pâtés, connaisseurs de chairs mijotées, ignorants de la misérable vie du petit être qu’ils savourent.

Eux qui vont et viennent librement de par le vaste monde, ils t’ont laissé sur Terre et pour toute ta vie un espace à peine plus grand que toi. Toi dont le corps était fait pour bondir, sauter, jouer, ils t’ont définitivement enfermé dans une cage si basse que tu ne pouvais même pas te dresser, ou faire ne fut-ce un seul pas sans te cogner au grillage ou aux autres.

Enfermé dans ta prison éclairée aux néons, tu mangeais jour après jour les mêmes granulés, sans jamais rien savourer, ni boire une goutte de rosée ou profiter de la chaleur du soleil – même lui, ils le veulent entièrement pour eux.

Bourré d’antibiotiques, les pattes saignantes sur le sol grillagé, les oreilles écorchées, tu as vu nombre de tes camarades de souffrances partir pour le dernier voyage – vers l’abattoir. D’autres, comme toi, sont morts de maladie ou de neurasthénie, petites étoiles si vite éteintes, insignifiantes sinon pécuniaires pour ces humains qui comptabilisent d’un trait sur un carnet la fin de ta non-vie, même pas une survie. Cage 87, un lapin trouvé mort, petit déficit, et c’est ainsi que se remplissent toujours un peu plus les poubelles des élevages.

Je pense que tu ne m’en voudras pas, pauvre lapin, d’exposer ainsi ton cadavre en pleine rue, puisque je suis de celles et de ceux qui luttent pour un monde meilleur pour tous – humains, lapins, veaux, vaches, cochons, oies, canards, poules, poissons, moutons, chèvres, chevaux… la liste est longue de ceux qui souffrent, abandonnés, exploités, affamés, torturés… Utopiste je suis, aujourd’hui encore on me l’a dit, mais l’utopie n’est-elle pas aussi l’aspiration à une réalité idéale ? Et qu’existe-il de plus important que la fin de la souffrance et de l’injustice ? Ce n’est pas toi qui me contrediras, toi dont la vie a été volée.

Des gens s’arrêtent, des gens passent, des gens pleurent, des gens provoquent, rejettent, s’émeuvent, questionnent, tandis que ton corps pèse si densément au creux de mes mains. Et du bout de mes doigts gantés, je caresse doucement ta fourrure encore soyeuse, t’offrant ainsi le seul geste d’amour que tu aies jamais connu.

Clèm



photos : Merry Photography

pour plus d'infos sur l'élevage des lapins, vous pouvez visiter le site de L214


Jonathan répond à Daniel Bernard, auteur d'un dossier sur le végétarisme dans le magazine Marianne (à lire ici.). Cet article à charge en a fait bondir plus d'un depuis le début de l'été&nbsp! La lettre de Jonathan est une véritable réflexion sur les rapports qu'entretient notre société avec les animaux. Il nous parle d'égalité, de justice et démonte les non-arguments d'un journaliste peu scrupuleux.


Remarques préliminaires sur l’article intitulé « les végétariens : une nouvelle famille idéologique »

Magazine Marianne

Fin juin est paru un article présentant le végétarisme comme une nouvelle
idéologie, comme un mouvement tendance, à la mode. Mais pour quiconque souhaitait y trouver un
sujet traité sérieusement, ce fut le choc à cause de l’absence de réflexion de l’article. En quoi est-ce
une idéologie ? Rien n’est dit à ce sujet. Qu’y a-t-il dans cet article ? Qu’apprend-t-on ? Absolument
rien, rien d’autres que des figures de styles ironiques en guise d’argument durant six pages. Ironiser
n’est pas produire un argument, mais juste paraître savant en employant des mots compliqués pour
impressionner le lecteur qui ne connaît pas le sujet ; ce n’est pas parce que l’on emploie des mots
compliqués que ce que l’on dit a du sens. D’où la faute commise par l’auteur de « lancer » des idées
graves sans les justifier, sans les fonder. Ce qui désole, c’est le tort causé à ceux qui luttent pour la
cause des animaux, et donc avant tout aux milliards, oui milliards, d’animaux victimes de nos
pratiques chaque année.
On n’y trouve donc rien que des remarques ironiques dénuées de sens, qui
ne traitent pas, même rapidement, de la question pourtant centrale du végétarisme, à savoir la
question morale concernant le statut éthique des animaux, c’est-à-dire la façon dont nous traitons les
animaux et la façon dont nous devrions les traiter. On y apprend seulement que le végétarien serait
un bobo parisien réfugié dans le Marais, ou un maigrelet obsédé des derniers régimes en vogue qui
mangerait des bols d’épeautres et pratiquerait la privation de nourriture pour être anticonformiste.
Telle serait la finalité du végétarien : être à contre-courant. On y voit également l’auteur marqué par
« la supériorité morale » du végétarien, ce qui peut aisément se comprendre après quelques
réflexions sur la nature de la morale. Ce qui désole par ailleurs, c’est le manque de connaissance du
sujet présenté sous des formes pseudo-savantes au grand public : on peut clairement parler de
mensonge, de malhonnêteté intellectuelle. Une simple consultation de la page internet
« végétarisme » sur Wikipédia aurait pu fournir un peu de matière à l’article. Il ne sera pas utile de
reprendre ligne après ligne car cela n’aurait que peu d’intérêt et nous conduirait à rester dans le
même registre que l’article en question.

1 – Ce qu’est le végétarisme

Le minimum d’honnêteté aurait été de dire ce qu’est le végétarisme et présenter les
différentes motivations des végétariens, en ce que ces motivations sont capitales pour déterminer la
prétention à en faire une obligation morale. Il faut distinguer les végétariens éthiques des végétariens
pour des raisons de santé (pour une question nutritionnelle). Les végétariens éthiques refusent que
l’on tue des animaux pour se nourrir (si des alternatives sont possibles, comme c’est le cas dans la
quasi-totalité des communautés humaines) et ne consomment donc pas de viande (ce qui inclue la
volaille et le poisson). Un végétalien ne consomme pas d’aliments issus des animaux (lait, fromage,
crème, gélatine, œufs, etc.), car en plus du refus de la mise à mort d’animaux pour se nourrir, il refuse
l’exploitation des animaux. On appelle vegan le fait de ne consommer aucun produit d’origine
animale (cuir, laine, etc.). Nous regrouperons toutes ces positions sous le terme de « végétarien »
dans le cadre de l’article qui nous intéresse. Les végétariens éthiques condamnent donc toute
utilisation des animaux comme de simples objets et les considèrent comme des fins en soi ayant une
valeur inhérente comme c’est le cas pour chaque être humain, c’est-à-dire le droit de vivre et le droit
à être traité avec respect. Le végétarisme nutritionnel n’a aucun moyen de blâmer le carnivore car il agit au motif d’un critère égoïste consistant à ne pas manger de viande pour son propre bien-être. La
différence est donc de taille avec le végétarisme éthique puisque le végétarisme nutritionnel se
moque, au même titre que celui qui mange de la viande, du sort des animaux. Un tel végétarisme ne
peut donc être moralement prescriptif. Or, à aucun moment de l’article cette distinction pourtant
basique n’est faite. Lorsque vous dites qu’il s’agit d’une « contre-doxa alimentaire [qui] recommande
privation, abstinence et substitution », vous désignez peut-être, si c’est possible de vous comprendre,
les végétariens santés en sous-alimentation. Mais, d’une part, pourquoi se focaliser sur eux dans le
cadre d’un article traitant d’une soi-disant nouvelle idéologie moraliste ? D’autre part, pourquoi
pensez-vous que les végétariens se sous-alimentent ou se privent de manger ?

2 – La question morale centrale et les autres points de vue

A aucun moment cet article contre le végétarisme ne prend le soin d’exposer la question
centrale, à savoir celle du droit des animaux à être traités avec respect, témoignant de l’ignorance
totale de l’enjeu de la question du végétarisme, tant de la part de l’auteur que de toute la rédaction
qui valide et approuve l’article. En effet, si le végétarisme se présente en lutte, c’est parce qu’il s’agit
d’une question morale, et non pas une question de nutrition, d’esthétique (de goût), d’économie,
d’écologie ou de tradition. La première chose à faire est de distinguer les différentes motivations des
végétariens. Certes, la question nutritionnelle est intéressante comme souci de sa propre santé ; c’est
un point de vue prudentiel. Or, s’il y a une lutte pour faire reconnaître des droits aux animaux, c’est
parce qu’il y a des victimes distinctes de ceux qui consomment (ce en quoi consiste la morale, dans le
rapport aux autres) ; la question est celle de nos devoirs envers les animaux. Le problème (formulé de
façon vulgaire) en question est celui-ci : qu’est-ce qui peut justifier que se servir des animaux et les
tuer ne pose pas de problème moral, mais que faire de même avec les hommes est mal ? Sur quelle
base attribuer un droit inaliénable aux hommes mais non aux animaux ? Autrement dit, qu’est-ce qui
peut justifier moralement les souffrances que nous infligeons aux animaux ? Comment devons-nous
nous conduire à l’égard des animaux ? Or, le point de vue moral est déterminé par une justification de
ce qui est moralement juste ou non de faire, valable pour tous, à la différence de la sphère des
motivations qui relève du domaine psychologique et personnel. En tant qu’il s’agit d’une question
morale, les points de vue économiques, esthétiques, écologiques, nutritionnels, biologiques,
historiques et culturels ne peuvent servir d’arguments car le problème est d’ordre éthique, et
l’éthique est ce qui doit être tenu comme la considération première pour déterminer ce que l’on peut
faire ou non.

Nous pouvons établir une hiérarchie des valeurs, c’est-à-dire classer les valeurs qui ont
le plus d’importance, qui viennent en premier pour déterminer si on doit ou si on peut faire telle ou
telle chose. Ainsi, par exemple, les défenseurs de la corrida avancent souvent comme « raison » (car
ce n’est pas à proprement parler une raison) que la corrida est quelque chose de beau. Si tel est le
principe de raisonnement, que ce que nous trouvons beau ala priorité sur ce qui est bien et juste,
alors ce principe doit être valable dans d’autres contextes, ou alors le choix du contexte devient
arbitraire et par conséquent injustifiable. Si le critère esthétique occupait la plus haute place d’une
hiérarchie des valeurs, alors on ne pourrait plus rien condamner sous prétexte que certains trouvent
cela beau ou agréable ou plaisant ; on peut aisément imaginer les actes les plus graves et odieux
échapper à toute condamnation morale car le principe serait que ce que quelqu’un trouve beau,
plaisant ou agréable devient acceptable. Si quelqu’un trouve agréable de violer, alors on ne peut le
condamner, car pourquoi le beau primerait dans un cas mais non dans l’autre ? Or, c’est exactement
ce que nous faisons lorsque l’on dit : « mais un bon steak, c’est trop bon ». C’est pourquoi la valeur
morale est celle qui vient en premier pour déterminer si une pratique est acceptable ou inacceptable.Or toutes les conclusions s’accordent pour dire que consommer des animaux est inacceptable. D’où la
culpabilité de celui qui est conscient de ce fait mais s’en moque, culpabilité que Daniel Bernard
ressent comme « une supériorité morale » insupportable du végétarien.

3 – La nature de la moralité

Cette position se fonde sur des théories morales complexes. Nous préciserons simplement ici
que la moralité concerne le rapport entre les individus. On peut se demander ; qu’est-ce qui fait que
l’on doive respecter autrui et ne pas lui faire de mal ? Le fait qu’il puisse ressentir de la douleur. Le fait
qu’il vive et qu’il ait le droit de vivre car il a des états mentaux complexes (croyances, désirs,
émotions, etc.). Le fait qu’il ait des désirs et des émotions comme la joie et la peur. Autrement dit le
fait qu’il soit « sujet » d’une vie (selon l’expression de Tom Regan). Sinon, quoi d’autre pourrait
compter dans le fait que nous ne devrions pas faire de mal à autrui ? Le droit à être traité avec
respect est le droit de ne pas voir ses intérêts fondamentaux lésés. Mais qui est autrui ? Les blancs ?
Les hommes ? Les êtres humains ? Les êtres sensibles ? Si telles sont les raisons des considérations
des intérêts d’autrui, pourquoi les animaux se trouvent-ils exclus des relations morales ? Si nous nous
accordons pour reconnaître à chacun d’entre nous le droit de vivre, de penser, de croire, de ne pas
être torturé, pourquoi n’accorde-t-on pas ce droit aux animaux dont nous savons qu’ils sont capable
de souffrir, de désirer, de communiquer, d’être terrorisé ou content. Après avoir recherché un critère
permettant de justifier cette différence de traitement, il se trouve que rien n’autorise l’actuel
traitement des animaux. Ce n’est que l’habitude héritée des conceptions philosophiques anciennes et
modernes qui voient en l’homme un être différent par des aspects fondamentaux des animaux, alors
relégués au rang de biens dont nous pouvons disposer. L’absence de critère légitime relève donc de la
discrimination, or toute discrimination se fonde sur un critère arbitraire, c’est-à-dire injustifiable car il
pourrait être autre sans aucune raison.

Toute position morale n’est pas valide et par conséquent il faut pouvoir la justifier (à moins de
défendre une position relativiste, ce que je doute que vous fassiez). La morale se fonde sur les
principes de bienfaisance et de justice. Le premier requiert comme condition nécessaire de moralité
d’éviter le mal et de faire le bien autant que possible (bien qu’ici cette formulation reste vague). Le
second requiert l’égale considération des intérêts de chacun ; il se fonde donc sur le principe d’égalité
qui consiste à traiter semblablement les cas semblables sauf s’il y a une « bonne raison » de ne pas le
faire, une raison non arbitraire et naturelle. Il ne s’agit pas de traiter tout le monde identiquement
mais semblablement, ce que Tom Regan et Peter Singer rappellent dans leurs textes. Or, du fait que
nous partageons de nombreuses choses en commun avec les animaux, et notamment les choses qui
comptent dans les considérations morales (sensibilité, conscience, désirs), quelles bonnes raisons y a-
t-il pour se permettre de tester sur eux nos produits toxiques, de les détenir dans un univers
concentrationnaire misérable et terrifiant afin de se faire un barbecue, de les élever également pour
leur prendre leur peau afin de border des capuches ? Comme la couleur de la peau ne permet pas de
justifier un traitement différent, le « nombre de poils », nous dit Peter Singer, ne permet pas de les
exploiter. Bien sûr, il n’est pas question de donner les mêmes droits aux animaux mais de reconnaître
le droit à ne pas être maltraités, exploités ; des droits spécifiques pour les animaux. Au fondement de
la moralité se trouve donc la justice et la reconnaissance de la valeur de chaque être sujet d’une vie.
Si le cercle de la communauté morale est restreint à l’homme, il convient dès lors de l’étendre au
moins de façon à y inclure les animaux.

Dès lors, bien sûr qu’il y a un mode culpabilisateur car la morale est prescriptive. Ceux qui
condamnent l’exploitation des animaux comme un crime ne peuvent qu’attribuer à ceux qui profitent
du crime le statut de coupables. Il n’y a pas une morale par personne (relativisme individuel) et le
juste n’est pas la loi ou la coutume (relativisme culturel), ce qui reviendrez à nier toute normativité
morale, ce qui j’en suis sûr, ne serait accepté que par très peu de personnes. Comme pour tout crime,
on détermine le degré de culpabilité par le degré d’ignorance de la personne. Beaucoup de
personnes ne se sont jamais posées la question de la condition animale et sont dans une position
d’ignorance à ce sujet, mais pour reprendre l’expression de Bertolt Brecht dans La vie de Galilée, qui
ne sait pas est un ignorant, mais qui sait et ne fait rien est un criminel.

4 – Le spécisme, le racisme et la fondation métaphysique de la distinction homme animal

Vous dites dans votre article que « quelques radicaux assimilent la hiérarchisation des
espèces à la discrimination des races » et « placent l’antispécisme au même niveau de nécessité que
l’antiracisme ». Vous dites donc que la lutte contre le racisme doit avoir la priorité sur la lutte contre
le spécisme, ce en quoi consiste justement le spécisme. L’erreur qui sous-tend ce propos est
l’opposition de deux causes qui ne s’opposent pas. Elle consiste à dire qu’avant de s’occuper du sort
des animaux, il faut s’occuper de celui des hommes. Mais les défenseurs cohérents de la cause
animale font les deux et dénoncent toute forme de discrimination. Ce ne sont pas deux causes
exclusives qui seraient tels des vases communiquants. Cependant, il faut remarquer que tout le
monde s’accorde plus ou moins pour condamner la torture, le meurtre, le viol et toute forme de
crimes perpétrés contre les hommes. En revanche, peu de monde reconnaît aux animaux un droit
propre à chacun, d’où la nécessité de s’attaquer au spécisme, aucune injustice ne doit être remise à
plus tard. L’indignation courante et rhétorique de l’assimilation du spécisme, du racisme, et du
sexisme se traduit souvent par le refus de comparer les esclaves, les juifs des camps de concentration
avec les animaux détenus et exploités dans l’industrie. Ce qui est comparable, ce ne sont pas les
individus mais l’injustice de la condition qui leur est faite à tous. Il ne s’agit pas de dire que les Noirs
et les Juifs sont des animaux, cela est une incompréhension de l’analogie. L’analogie ne compare pas
les termes mais les rapports : il s’agit de la même logique de faire une discrimination, en l’occurrence
ici selon l’espèce, d’où le nom de spécisme. L’antispécisme dit qu’en effet, le traitement réservé aux
animaux est du même genre de gravité que les camps de concentration ou l’esclavage, sauf qu’il est
perpétuel. L’antispécisme dénonce toute forme de discrimination.

Rejeter l’antispécisme, c’est
finalement accepter la logique de la discrimination arbitraire qui vous apparaît comme une évidence.
Mais pour l’homme du 18ème siècle, l’esclavage et l’animalité des Noirs était une évidence. En ne
condamnant pas le spécisme comme le racisme, vous vous ôtez le moyen de condamner et de
critiquer le racisme et l’esclavage, entre autre ; cela précisément parce que vous dites que l’origine de
la différence de traitement est due aux faits que les animaux ne sont pas humains (définition
circulaire), de même l’esclavagiste dit que la raison qui légitime l’esclavage est que les Noirs ne sont
pas des Blancs. Son critère est arrêté arbitrairement, exactement comme celui du spéciste. Qui donc
n’est pas antispéciste ne peut être fondé à condamner le racisme ou toute autre discrimination de
façon raisonnable et cohérente. Il est incohérent de condamner le racisme comme discrimination
selon la couleur de la peau et non le spécisme comme discrimination selon l’espèce.

Précisions. L’absence de critère pour dire pourquoi nous traitons les animaux ainsi et non les
hommes relève donc de la discrimination, or toute discrimination se fonde sur un critère arbitraire,
c’est-à-dire injustifiable car il pourrait être autre ; c’est le paradigme de l’injustice. Si on dit que c’estl’espèce qui compte juste parce qu’on le dit, que dire à celui qui dit que c’est la couleur de peau qui
compte, ou alors le groupe sanguin ou la taille. On pourrait très bien traiter les hommes de moins
d’un mètre soixante comme nous traitons les animaux parce qu’ils ont le malheur d’être sous le
critère décidé. Mais lorsque l’on demanderait le pourquoi de ce critère, on nous répondrait quelque
chose comme : « parce que c’est ce critère qui compte ». Cet exemple vise à montrer que l’arbitraire
est injustifiable. Nous affirmons que la discrimination selon l’espèce est arbitraire comme l’est la
discrimination selon la couleur de peau, car relativement aux critères qui importent pour être un
patient moral, on ne trouve aucune différence entre les hommes blancs ou noirs, ni entre les
hommes et les animaux. La tradition philosophique a toujours recherché des propres de l’homme
susceptibles de jouer le rôle de critère discriminant, mais aucun n’est acceptable. D’ailleurs, l’idée de
propre de l’homme se fonde sur l’ignorance de qui sont les animaux. La raison ne peut jouer ce rôle
discriminant car en quoi la raison fonctionnerait-elle comme critère d’intégration à la communauté
morale ? Puis que faire dans ce cas des handicapés mentaux lourds, des vieillards séniles, et des
autres hommes qui disposent de moins de capacités mentales que la plupart des animaux ? Nous
sommes d’accord pour dire que ces personnes ont droit à autant de respect que les autres, par là
même est détruit l’idée que le critère est la raison. Le critère déterminant serait plutôt celui de la
sensibilité, de la conscience et du désir (ce qui constitue dans les termes de Regan un sujet d’une vie).
Ainsi les végétaux ne sont pas pris en compte comme ayant un statut moral. Pour avoir un statut
moral, il faut soit être un patient moral ou un agent moral. Un agent moral est un être capable
d’actions susceptibles d’être jugées comme louables ou condamnables. Un patient moral est un être
envers qui nos actions sont susceptibles d’être jugées comme louables ou condamnables. Si les
hommes adultes sont des agents moraux, il y a aucune raison d’exclure les animaux de la catégorie
des patients moraux, à laquelle les enfants, les handicapés mentaux irresponsables appartiennent.
Sur quel critère peut-on décider de ne pas considérer les animaux comme des patients moraux, des
êtres dignes de considération et de respect. Le préjugé et l’habitude.

5 – La méconnaissance de l’animal

Regard d'une vache

La façon dont nous traitons les animaux se fonde sur une méconnaissance, souvent
volontaire de l’animal. La recherche éternelle d’un propre de l’homme a toujours était le motif pour
se permettre d’utiliser les animaux à notre guise. La distinction entre l’âme et le corps que l’on
retrouve chez Descartes réduit les animaux à des corps sans âmes ni conscience. Si les animaux ne
sont que des corps mécaniques, tout est permis, ils deviennent des biens utilisables exclus du champ
de toute considération morale. On a longtemps cherché un propre de l’homme, de façon acharnée,
en se disant « voilà enfin le critère qui nous permettra de traiter les animaux comme nous le
faisons », que ce critère ait été le langage, la raison, la conscience, le rire, la parole, l’abstraction, la
mort, la sociabilité, la technique, l’histoire, etc. Mais ces constructions abstraites visant à tracer une
différence de nature entre l’homme et l’animal fut ruinée par la biologie évolutionniste, l’éthologie,
les neurosciences, mais surtout, par l’évidence de l’expérience de la vie mentale des animaux. Plus
personne ne soutient sérieusement de nos jours que les animaux ne souffrent pas, n’ont pas de
désirs, etc. La méconnaissance de l’animal fonctionne comme une protection d’ordre psychologique.
Se dire que l’animal n’est qu’un corps laisse la conscience intacte. Sinon comment vivre avec sa
conscience si on considère l’animal comme une personne dotée d’une valeur inhérente ayant droit au
respect et à la vie. Une telle perspective est refoulée par les dénégations grossières qui visent
toujours à ignorer qui sont les animaux ; en effet, cela constituerait un véritable crime digne des plus
grands crimes jamais commis, ce qui, insupportable à l’égo et à l’orgueil de chacun, est rejeté par des arguments fallacieux, irréfléchis, dogmatiques. Qui, en effet, s’intéresse aux animaux, saura que les
chats peuvent être dépressifs, que les vaches pleurent et crient leurs petits lorsqu’on les leurs enlève
dès leur naissance, que les singes, chats et souris de laboratoire souffrent de traumatismes
psychologiques comme les humains maltraités.

6 – Les pseudos-argument ou arguments alibis

Tout végétarien aura été mille fois confronté aux mêmes pseudos arguments que les
mangeurs de viandes affirment dogmatiquement pour une bonne partie, sans laisser aucune place
au doute, à croire que tous ont déjà très longuement étudié la question de l’éthique animale.
L’absence de doute dans ces réactions témoigne de la violence de la perspective d’une pratique
coupable, immonde, inqualifiable. Ces arguments sans cesse invoqués fonctionnent comme moyen
de protection psychologique. Il y en a environ 5 ou 6 arguments-alibis souvent brandis que J-B
Jeangène-Vilmer expose clairement dans son introduction à l’éthique animale. (1) L’argument
nutritionnel, souvent avancé par les sportifs et les personnes en contact avec le monde médical : « il
faut bien des protéines ». Sans répondre à ces arguments qui d’une part sont faux, mais surtout ne
changent rien à l’analyse morale, il faut comprendre que quand bien même la viande serait bonne
pour la santé, cela ne changerait rien à la question morale. Là n’est donc pas la question, peu importe
de savoir si la viande est source de fer et de protéine. (2) L’argument esthétique, consistant à dire
« c’est bon ». Le fait que ce soit bon ne fournit pas un critère d’évaluation morale et ne change donc
rien au fait que cela demeure immoral de consommer de la viande. (3) L’argument de la tradition,
disant que les hommes ont toujours mangé de la viande. Mais une chose est-elle bonne parce qu’elle
a toujours été pratiquée ? Le mythe de la tradition qui fait croire à une antique sagesse du genre
humain ne détermine pas si une action est moralement bonne ou mauvaise. Cela va contre toute
idée de progrès moral, il y a toujours eu des meurtres, de l’esclavage, des viols, de même l’excision
est une tradition. (4) L’argument naturaliste, disant que les animaux se mangent entre eux, alors
pourquoi ne pourrions-nous pas en faire autant ? D’une part, nous sommes des agents moraux tandis
que les animaux sont des patients moraux, ce qui signifie que nous n’attendons pas d’un chat qu’il
rende compte de ses actes comme un adulte responsable. En appeler à la loi de la jungle n’est pas
un modèle de moralité. D’autre part, nous avons le choix d’une autre alimentation tandis que le lion
ne peut cultiver des salades et des tomates. (5) L’argument économique affirme qu’abolir la viande
affecterait l’économie et supprimerait beaucoup de postes. Outre la vérité ou fausseté de cette
position, l’intérêt économique ne détermine pas ce qui est juste ; l’esclavage est très rentable puisque
l’on fait travailler des hommes sans les payer. (6) L’argument écologique. Même si les études
montrent que l’abandon d’une alimentation carnée suffirait amplement pour nourrir toute la planète
et serait bénéfique à la lutte contre le réchauffement climatique, dans la mesure où l’industrie de la
viande est la première cause d’émission de gaz à effet de serre, cela ne change rien au rapport de
justice lié à chaque animal dans son individualité comme être sujet d’une vie ayant droit au respect.
Finalement, aucun de ces arguments ne répond à la question morale initiale. Ils sont comme on dit,
hors-sujet.

7 – Remarques sur l’idéologie régnante

Vache

En quoi la défense des droits des animaux forme-t-elle une idéologie, outre du fait de se
situer dans l’ordre des idées ? Il n’y a rien d’idéologique au sens négatif où vous l’employez. Au
contraire, s’il y a idéologie, c’est plutôt la perpétuation du système d’imposition de la représentation de l’animal comme différant en nature de l’homme qui relève de l’idéologie. Ce fait se voit dès les
premières années d’éducation où on impose à l’enfant l’habitude de manger du poisson parce que
c’est bon pour la santé, ou pour toute autre raison, c’est-à-dire lui incorporer une représentation
comme étant naturelle et nécessaire. Dire que les végétariens forment un lobby puissant, c’est
purement inverser la réalité, en ce que tout l’intérêt et la force économique est du côté des
industries. Les publicités nous présentant de fictives vaches dans un champ, des poules dans de la
paille élevées avec amour, tranchent avec la réalité du terrain. Qui a déjà vu (de ses propres yeux) ces
véritables usines de torture ? Personne, car elles demeurent cachées. Cette forme structurale
témoigne d’une organisation sociétale visant à maintenir caché, physiquement et mentalement, ce
qu’impliquent nos pratiques. A ne pas voir ces boucheries, nous évitions d’y penser. Mais les images
existent. La loi nous dit que les animaux ne sont que des biens meubles et que lorsque vous battez un
chien, c’est à son propriétaire que vous causez du tort. La législation même imprime dans les
catégories mentales ces conceptions métaphysiques de l’animal. L’idéologie se trouve bien plutôt
dans la construction ontologique cartésienne que veille à reproduire les structures étatiques et
sociétales, soit de façon consciente et criminelle, soit par ignorance et défaillance intellectuelle. Les
défenseurs des droits des animaux se battent pour la justice, de sorte que si être écœuré par ces
injustices et ces horreurs, c’est être dans l’idéologie, alors d’accord nous sommes idéologues et c’est
un crime que de ne pas y participer.

8 – Sur quelques préjugés qui composent l’article

Finalement, il n’a pas vraiment été question de votre article car il ne disait rien, sauf quelques
préjugés (et non des caricatures, car les caricatures œuvrent à partir du réel).

Sur qui sont les végétariens. Vous identifiez le végétarien à un bobo parisien du Marais, « à un
moine bouddhiste aux yeux creusés », à une « fashionista filiforme à l’affût du dernier régime New
Age ». En ce qui concerne les végétariens éthiques, cela est faux. Si vous visez des personnes à l’affut
des régimes végétariens, alors il s’agit de végétariens santé. Si vous visez les communautés qui ne
consomment pas de viande pour des raisons religieuses, nous ne sommes plus sur le terrain éthique.
Or, lorsque vous parlez d’idéologie, « d’étincelle de supériorité morale dans le regard », il ne peut
s’agir que de végétariens éthiques. Article confus qui, pour ces raisons, est stupéfiant. Une analyse
sociologique et scientifique du végétarisme aurait pu être intéressante mais vous vous contentez de
remarques que l’on a coutume d’entendre autour d’une bière au cours d’une soirée entre amis,
correspondant à ce que vous en avez vu ou cru entendre. Or, vous ne faites pas une telle analyse.

Sur Aymeric Caron. Pourquoi consacrez-vous tant de place à Aymeric Caron ? Si vous croyez
que les défenseurs de la cause animale ont attendu le livre d’A.Caron en 2013 pour devenir
végétariens et penser la condition animale, c’est que l’enquête journalistique même vous dépasse.
Vous avez pris le livre qui circule en ce moment comme œuvre fondamentale des végétariens.
A.Caron est juste une personnalité célèbre qui a publié un livre, ce qui est une bonne chose mais il
n’est absolument pas la référence ultime des végétariens, mais la seule que vous connaissiez
apparemment, ce qui atteste plus de votre ignorance de la cause animale dont les fondement se
trouvent bien plutôt dans les œuvres de P.Singer, T.Regan, G.Francione, F.Burgat et autres penseurs
de l’éthique animale.

Sur ce que mangent les végétariens. Vous dites que les végétariens mangent du « tofu soyeux,
du tofu fumé, tofu poilu ou tofu ferme ». Telle est la façon de dire au lecteur, si vous ne mangez pas de viande, vous n’aurez rien d’autres que du tofu à manger. Au contraire, il y a une infinité de choses
à manger, sauf que la société française en particulier est centrée sur la viande, le steak, le sang
encore et toujours. Vous ignorez alors ce qu’il est possible de manger sans la viande ; des burgers, des
pizzas, des Mc Donalds sans viande, des sandwichs de chez Subway, des tacos et des « kebabs »
végétariens, mais aussi des salades en tout genre, des grillades, des plat indiens, mexicains, thaïs,
français, et ainsi de suite.

Vous dites que les non sectaires « préfèrent réduire qu’interdire ». En tant qu’il s’agit d’un
crime, il n’y a pas de réduction possible et acceptable, mais une abolition stricte.

Sur le désir d’anticonformisme des végétariens. Vous dites que « tournées vers leurs tubes
digestifs, ils n’ont pas l’âme révolutionnaire. Au contraire, pointe encore souvent dans leur propos
une fierté de nager à contre-courant qui disparaîtrait si [...] leur pratique faisait école ». Quel peut
bien être le sens de dire que les végétariens font cela pour être à contre-courant, anticonformiste, ne
voulant pas réellement que les mœurs changent ? Que tous ceux qui se battent de tout leur cœur
pour la cause animale ne veulent pas réellement le succès de leur lutte. Ils se battent donc contre
leur cause ? Cela n’a aucun sens. Une citation de Dalibor Frioux ne fait pas office d’argument. Votre
propos est que les végétariens font semblant, ce qui, en plus d’être absurde, ne présente aucun
intérêt. Cela signifierait que personne ne veut réellement que la situation des animaux ne change
puisque ceux qui luttent pour cela ne le font que pour être à contre-courant. Par ailleurs, ceux qui
semblent davantage tournées vers leur tube digestif sont les mangeurs de viande qui en dépit de
toute considérations morales, mettent le bon goût du steak sanglant au-delà de tout. Le propre du
végétarien est au contraire d’être en mesure de changer ses habitudes s’il le faut. Ça donne le cafard
de pouvoir lire ce genre de propos dans un journal. Vous considérez le végétarisme comme une
tendance actuelle, mais le végétarisme existait déjà dans l’antiquité grecque, romaine, indienne,
chinoise.

Le végétarien n’est pas né végétarien et a appris à remettre en cause les habitudes
inculquées. En revanche, les personnes dogmatiques qui prétendent tout savoir sans avoir réfléchi à
un sujet sont sans doute des personnes, non seulement moins intelligentes, mais de moindre valeur
que les autres et cela tout simplement parce qu’elles ne prennent pas en considération le tort que
leur pratique peut éventuellement causer à d’autres êtres ayant droit au respect. Ce que révèle
l’article, c’est surtout le complexe de son auteur vis-à-vis du discours végétarien, touché par
« l’étincelle de supériorité dans le regard », incapable de produire un argument contre les
végétariens, mais plein de ressentiment à l’égard de ceux-ci. Pour se permettre d’être ironique, il
aurait peut-être fallu « challenger » les arguments des théoriciens du droits des animaux au sens
large et non passer sous silence le point central du problème, car oui, il y a un grave problème moral
dans la consommation de produits d’origine animale, de même nature que ceux qu’impliquent
l’esclavage, les génocides ou les camps de concentration. Et ce n’est pas rabaisser l’homme que de
dénoncer toutes les horreurs dont les hommes sont coupables et dont vous, qui en avez conscience,
participez activement. Le journalisme tel que vous le pratiquez n’est ni plus ni moins qu’une insulte à
la vérité et à l’intelligence critique. Outre le déficit de raisonnement dont votre article fait preuve, il
soulève également un terrifiant manque d’empathie que Rousseau concevait pourtant comme l’un
des deux principes de la nature humaine, et dont on ne peut que constater l’absence chez vous.

Liens internet

www.wikipédia.org, « végétarisme »

http://bibliodroitsaniamux.voila.net. Ce site regroupe gratuitement des extraits de textes clés de
l’éthique animale, voir notamment Regan, Singer, Francione, Burgat

www.cahiers-antispecistes.org

Bibliographie

- Tom Regan, Les Droits des animaux, trad. Enrique Utria, Hermann, 2013 (traduction de The Case for
Animal Rights, Berkeley, University of California Press, 2004)

- Peter Singer, La libération animale, Payot, 2012

- Philosophie animale, différence, responsabilité et communauté, H-S.Afeissa et J-B.Jeangène-Vilmer,
Vrin, 2010

- J-B. Jeangène Vilmer, Ethique animale, Puf, 2008

- Florence Burgat, Animal, mon prochain, Odile Jacob, 1997


Le 29 juillet dernier, l'Université de Vienne a publié un communiqué de presse, que nous traduisons en Français.
Les animaux ont longtemps été considérés comme dépourvus de facultés mentales élaborées, et leur monde intérieur jugé pauvre et limité.
C'est cette conception qui continue de faire des milliards de victimes animales, depuis les élevages jusqu'aux labos d'expérimentation.
Prenant exemple sur les cacatoès, l'Université de Vienne révèle les aptitudes considérables de certains animaux pour mémoriser, comprendre, élaborer des vues de l'esprit...

Nous publions ces découvertes en précisant que L214 ne cautionne pas l'expérimentation sur les animaux. Nous nous distançons également de la comparaison à tout prix avec les facultés humaines. Si ces études permettent de rompre avec la croyance en un "propre de l'homme", elles donnent aussi le sentiment que les aptitudes des animaux ne dépassent pas celles d'un enfant de 3 ou 4 ans, et continuent de caler les animaux en bas de l'échelle. Les cacatoès et les autres animaux se comportent d'une façon dont aucun enfant de 4 ans n'est capable, trouvant la nourriture, élevant leurs petits et leur transmettant leur savoir, s'orientant dans l'espace comme aucun humain... A cet égard et à bien d'autres, les animaux ne ressemblent pas à des enfants ; et leur intelligence nous échappe.


Communiqué de presse du 29 juillet 2013 de l'Université de Vienne sur les performances cognitives des cacatoès.
Traduit de l'anglais par Marie Melet pour L214.

Comment peut-on savoir que les friandises sont toujours dans le tiroir alors qu'on ne peut pas les voir ? Comment peut-on savoir le moment et l'endroit où une voiture va ressortir de l’autre côté du tunnel ? L'habilité à concevoir des objets et suivre leur trajectoire même si on ne peut plus les voir pendant un moment, est fondamentale sous bien des aspects, et stimule des facultés cognitives. Alice Auersperg et son équipe de l'Université de Viennes et d'Oxford démontrent que les capacités liées à « la permanence de l'objet » chez un cacatoès sont comparables à celles des grands singes et des enfants de quatre ans. Les chercheurs ont publié leurs études dans le « Journal de la Psychologie Comparative ».

Pour tester la mémoire spatiale chez les animaux et les enfants, on utilise généralement plusieurs tests au cours desquels on déplace soit un objet (une récompense sous forme de nourriture), soit l’endroit où est caché cet objet, soit l'animal avec lequel on mène l'expérience.

Dans les premiers tests de déplacement invisible qui ont été conçus par le psychologue français Jean Piaget dans les années 50, on déplace la récompense sous une tasse derrière un ou plusieurs écrans et on montre où elle se trouve à chaque pause : si la récompense n’est pas sous la tasse, on sait qu’elle se trouve derrière l’écran précédent. Les humains réussissent ce test dès l'âge de 2 ans alors que chez les primates, seuls les grands singes montrent des résultats convaincants.

Les tests de « transposition » sont encore plus impressionnants en termes d'attention : on place la récompense sous une tasse parmi plusieurs tasses identiques que l'on mélange à une ou plusieurs reprises. Ce n’est qu’à l’âge de 3 ou 4 ans que les enfants réussissent systématiquement ce test, alors que les grands singes adultes le réussissent même s’ils ont plus de difficulté si on mélange les tasses plus d'une fois.

Dans les tests de « Rotation », on dispose plusieurs tasses identiques sur un support tournant et l’on dépose une récompense sous l’une d’entre elles.
Les tests de « translocation » se déroulent de la même façon sauf qu’au lieu de déplacer les tasses, c’est l’animal qui se déplace et s’arrête à divers endroits devant l’alignement des tasses. Les enfants ont plus de facilité à réussir les tests de translocation que les tests de rotation et ils les réussissent à l'âge de deux ou trois ans.

Une équipe formée de scientifiques de diverses nationalités, a travaillé avec 8 cacatoès de Goffin (Cacatua goffini), une espèce de nature curieuse et joueuse, sur les déplacements piagétiens visibles et invisibles d'un objet, et les dérivations de tests de transposition, rotation ou translocation spatiales.
Selon Birgit Szabo, un des biologistes de l'Université de Vienne : « Les 8 oiseaux ont presque tous réussi spontanément les tests de transposition, de rotation et de translocation, alors que seulement 2 d’entre eux ont immédiatement choisi l'emplacement exact lors du premier test Piagétien sur le déplacement invisible, au cours duquel une tasse plus petite apparaît sur 2 des 3 écrans plus grands. »

Alice Auersperg, directrice du laboratoire Goffin explique, après avoir participé à ce test : «  Curieusement, et contrairement aux enfants humains, nos cacatoès ont rencontré plus de difficultés à réussir le test Piagétien sur le déplacement invisible que celui sur la transposition que les enfants ne réussissent pas avant l'âge de quatre ans. Les transpositions demandent beaucoup d'attention dans la mesure où deux objets occultés sont déplacés simultanément. Néanmoins, contrairement aux grands singes qui ont plus de facilité à réussir les tests où l’on déplace les tasses une seule fois, les cacatoès donnent des résultats satisfaisants pour les deux tests, qu’on les déplace une ou deux fois »

De même, les Goffins ont eu quelques difficultés à faire les tests de Rotation et de translocation et certains d'entre eux ont réussi ces tests en se plaçant sous 4 angles différents. Encore une fois, contrairement aux enfants qui réussissent mieux les tests de translocation que les tests de rotation, les cacatoès n'ont montré aucune différence significative lors de ces deux tests. Auguste Von Bayern de l'Université d'Oxford, ajoute : « Nous reconnaissons que l'habilité de voler ou d'être la proie d'un prédateur volatile, permet de développer des capacités de rotation spatiale plus prononcées et peut influencer leur performances au cours des tests de rotation et de translocation. »


Thomas Bugnayer de l'Université de Vienne conclut : « Que les Goffins puissent résoudre les test de transposition, rotation et translocation représente un résultat étonnant. Ces tests nécessitent une grande capacité cognitive et mémorielle, et cela va nous inciter à effectuer des tests comparatifs afin de mieux comprendre leur aptitudes en termes d'écologie et de sociabilité ».

Source : Portail de l'université de Vienne : Cockatoos know what is going on behind barriers

Être vegan est si gay

  • Article du Mardi 23 juillet 2013

Le texte ci-dessous a initialement été publié en anglais le 16 mars 2011 sur le site GirlieGirlArmy.
Ari Solomon est directeur de la communication pour l’association
Mercy For Animals. Il contribue également au Huffington Post.

Je suis gay. Et je suis aussi vegan. Pour la plupart des gens, les deux choses n’ont aucun rapport. Pour moi, le lien est évident.

Quand j'étais enfant, j'étais brutalisé à l'école en raison de ce que j'étais. Moi, je ne savais pas exactement en quoi j'étais différent mais, apparemment, tous les autres le savaient. Je me souviens encore de la peur et de la tristesse que je ressentais dans le couloir qui menait à la cour où on était rassemblés tous les vendredis, et où j'étais harcelé par les crétins de la classe au-dessus de la mienne. Je n'en ai jamais rien dit – ni à mes parents, ni à mes professeurs, à personne. J’avais trop honte. C'est ainsi que personne n’a jamais pris ma défense, parce que je n'en ai jamais donné l'occasion.

Vingt ans plus tard : je suis sorti du placard et me voilà marié et installé avec mon mari à Hollywood. Je suis engagé pour les droits des homos, et je défends avec passion l'idée d'égalité pour tous. Pour tous les humains, pour être plus exact. Puis, un jour, je suis dans mon canapé en train de regarder un talk-show à la télé. Parmi les invités, il y a Alicia Silverstone, qui dit être vegan. S'ensuit une conversation qui pique ma curiosité : Alicia dit qu'elle est vegan parce qu'elle aime ses chiens. Moi aussi j’aime les chiens… et les chats. Après l'émission, j'allume mon ordinateur, j'ouvre Google et je tape « Alicia Silverstone » et « vegan ». Ce que je découvre va bouleverser ma vie.

Ce jour-là, pendant près de deux heures, je suis resté à regarder une multitude d'enquêtes menées en caméra cachée dans des élevages industriels. Comment est-il possible qu’en 30 ans, personne ne m'ait dit que c'est ainsi que les animaux deviennent notre nourriture ? J'ai vu les regards terrifiés sur leurs visages, les coups et les tourments qu'ils enduraient. J'ai vu des employés d'élevages dénués d'empathie leur hurler dessus. Et cela résonnait en moi parce que je savais ce que les animaux ressentaient. Je sais ce que ça fait d’être brutalisé.

Je suis devenu vegan ce jour-là, parce que je ne supportais pas de payer des gens pour faire à ces animaux ce que l'on m'avait fait à moi – dans des proportions bien moindres. Comment aurais-je pu continuer à défendre l'idée que tout le monde mérite d'être traité avec égalité et d'avoir sa chance d'être heureux, tout en me nourrissant des restes d'animaux qui avaient été si mal traités et avaient vécu des vies aussi misérables ?

Pour moi, le parallèle était évident : l'oppression égale l'oppression. Nous pouvons disserter sans fin sur les différences entre les humains et les animaux, mais au fond de nous-mêmes nous savons très bien que les animaux souffrent, et qu'ils mènent des vies riches en émotions qui ne sont pas bien éloignées des nôtres. Si vous avez déjà vécu avec un chat ou un chien, vous le savez mieux que quiconque.

C’est pourquoi je suis vraiment attristé de voir tant de militants progressistes – y compris des homos – tourner en dérision le véganisme ou les droits des animaux. À l’automne 2008, mon mari et moi avons milité avec acharnement en faveur du « non » au référendum sur la proposition 8 [proposition d’interdiction du mariage entre personnes de même sexe] ici en Californie. Lors d'une soirée militante, l'un des responsables, un homo, est venu vers moi. Il voulait savoir pourquoi j’arborais un t-shirt pour les droits des animaux chaque fois que je participais à une action. « On a compris », dit-il, « tu es vegan ». Je lui ai répondu : « Non, tu n’as pas compris. Si c'était le cas, tu serais vegan toi aussi. »

Ari Solomon

Source : girliegirlarmy.com: The Glamazon Guide To Conscious Living


Suite à la publication sur son mur facebook du témoignage d'un ancien ouvrier d'abattoir, Stéphanie a reçu un autre témoignage : celui d'Olivier.

« J'ai connu ça autrefois, j'avais 23 ans à l'époque. J'ai travaillé en intérim dans un abattoir, pas le choix, j'étais dans une situation financière difficile.

Cela a été une expérience très traumatisante, j'en faisais des cauchemars la nuit, j'ai mis un terme très rapidement, je n'en pouvais plus.

J'ai vu des conditions incroyables : les animaux parfois maltraités à l'arrivage, les hommes se servaient de piques et d'un boîtier qui envoyaient une décharge électrique pour faire avancer les animaux.

Le plus dur pour moi ça a été le regard d'un cheval qu'on allait abattre  ce regard me hantera jusqu’à la fin de mes jours. Si j'avais eu l'argent nécessaire à l'époque, j'aurais tout fait pour empêcher cela et je l'aurais sauvé de l'abattage.

Tout ça au petit matin, l'odeur et la couleur du sang, le tout à une échelle industrielle bien sûr.

Parfois les animaux n'étaient même pas électrifiés comme c'est le cas pour les porcs. Il y avait même parfois des hommes qui prenaient un malin plaisir à faire du mal pour le mal : je me suis fâché avec l'un d'entre eux et si personne n'était intervenu, nous en serions venus aux mains.

Voilà Stéphanie, triste expérience qui m'a profondément bouleversé à l'époque. Tu peux mettre ce témoignage si tu le souhaites sur le site. Tu peux citer mon nom. A l'époque c'était à l'abattoir de Bressuire dans les Deux-Sèvres en France. (1983)

Une expérience dont je me serais bien passé en tout cas. »


Nous publions le témoignage d'un jeune homme, qui livre à une militante son sentiment sur une corrida à laquelle il a assisté.

Bien que sensible à la condition des animaux, lui-même n'est ni engagé dans le militantisme, ni végétarien ; pourtant, son récit volontairement neutre dit toute l'horreur ressentie.


« Je vais te raconter mon ressenti. Je ne me place donc pas sur un plan moral, je ne défends pas une cause ou une autre, je vais simplement te raconter mes émotions et réflexions au cours de cette corrida.

C'était il y a une dizaine d'années, ma copine de l'époque m'avait amené à une corrida à Aix je crois, mais je n'en suis plus très sûr. Le cadre est assez impressionnant. Ces tribunes circulaires autour de ce champ de sable à la couleur chaude créent immédiatement une sensation esthétique intéressante, une impression d'intimité, de proximité également, comme sur un court de tennis à Roland-Garros.

Le cérémonial de présentation des toreros est intéressant, très ritualisé. Malgré tout, on se prend à admirer en quelque sorte ces déments qui vont aller affronter des taureaux de 500 kg.

Quand la corrida commence, tout bascule... Je ne me souviens plus exactement de la chronologie du déroulé mais je sais que des hommes à cheval, les picadors je crois, armés de lances abominables, "testent" les taureaux, selon les termes de la tauromachie mais en réalité commencent à les affaiblir en leur infligeant des blessures sanguinolentes. J'ai entendu plusieurs amateurs se plaindre d'ailleurs de la cruauté de ce moment. Ensuite, comme une pause dans la gradation de la violence, le torero place des banderilles sur le dos de l'animal. L'impression de boucherie est moindre, la scène est presque chorégraphiée.

Ensuite, les passes avec la cape entre le torero et l'animal semblent presque suspendues hors du temps. Il y a comme une forme de beauté, impression assez vite estompée par la fatigue de plus en plus visible de l'animal. Personnellement, j'en venais à espérer que le torero se fasse encorner, dans une sorte de réflexe de vengeance primitif.

La mise à mort est tout simplement abominable. Le torero, armé d'une épée, s'y reprend parfois à plusieurs fois pour viser un point particulier du taureau. Le sang coule à flots, parfois la bête tousse du sang. Ensuite, le torero la fait tourner en rond pour l'étourdir jusqu'à ce qu'elle meure. C'est horrible, j'en avais la nausée. En l'écrivant aujourd'hui, j'en ai encore la nausée.
Mais la vue du sang en général me donne la nausée, ce n'est pas le sang le pire : le pire c'est cette façon de donner la mort : elle semble douloureuse, aléatoire, barbare. Je pensais sans arrêt : "la mort est une chose trop sérieuse, trop grave pour la pratiquer de cette manière".

Comme tu le vois, il ne s'agit pas d'un manifeste contre la tauromachie à proprement parler mais les valeurs qu'elle véhicule, peut-être sans le vouloir, que sont l'injustice, l'inégalité des forces et la barbarie dans l'acte de donner la mort, sont des valeurs qui ne seront jamais les miennes. »


photos :

  • Jean-Marc Montegnies / Animaux en péril
  • Uhanu sous creative commons

Lettre à Mathias

  • Article du Jeudi 4 juillet 2013

Il y a quelques jours, nous avons reçu le récit d'un père. Son fils, un nouvel adhérent L214 âgé de 16 ans, a fait part à ses parents de son intention de ne plus consommer aucun produit d'origine animale, pour des raisons éthiques. Cette décision, que ses parents respectent, les a surpris car personne dans leur entourage n'est végétalien. C'est une réflexion personnelle qui l'a conduit à cette orientation qu'il respecte scrupuleusement en toutes circonstances pour l'ensemble des produits qu'il consomme (nourriture, habillement...). La famille habite un petit village où l'activité principale est l'élevage bovin.

La récente manifestation des éleveurs à Paris a inspiré ce père à écrire cette lettre, particulièrement destinée aux enfants, qui donne le point de vue d'une vache s'adressant à un enfant de 10 ans.

Bonne lecture !

Il suffira d'un signe

Lettre inspirée par Joséphine, vache à viande et à lait, âgée de 4 ans, adressée à Mathias, petit parisien de 10 ans, dont elle a croisé le regard à l’occasion de la marche des éleveurs, à Paris, le 23 juin 2013. Elle raconte son histoire et donne son point de vue de participante à cette manifestation.

Bonjour Mathias,

Je suis Joséphine, j’ai 4 ans et je vis près de Belley, dans les belles montagnes du Bugey. Je suis une vache.

Dimanche 23 juin 2013, Roger m’a « invité » à la marche des éleveurs, à Paris. Roger, c’est l’éleveur qui m’expl héberge, me nourrit, m’entretient, brave Roger.

Il n’est pas content, Roger. Rends-toi compte, à cause du mauvais temps qui a noyé les pâtures, gâché les foins et entravé les cultures, à cause de la fiscalité qui l’écrase, à cause des stupides règlements de l’Europe, à cause de la mondialisation, à cause du prix des céréales, du prix du carburant, à cause de la grande distribution, à cause, à cause… il est en train de mourir Roger. Il travaille pour des clous Roger ! Alors stop, tous à Paris, a-t-il dit à sa femme Bernadette, tous à la manif !

Joséphine

On était toutes là, ce 23 juin, sur le bitume et dans le bruit des rues de Paris, après un harassant voyage nocturne. Salers bouclées, Montbéliardes, Tarentaises, Charolaises blanches et Blondes d’Aquitaine, Aubracs roux clair, Normandes pie, pour ne parler que de mes sœurs les bêtes à cornes, plus belles les unes que les autres. Un vrai défilé de mode. Pour l’occasion Roger avait lissé mon pelage : il faut plaire aux Parisiens m’a-t-il dit, ce sont des Consommateurs, il faut les attendrir, leur montrer que la viande de France, c’est autre chose que le bœuf aux hormones des Américains. Il exhibait fièrement une magnifique banderole que lui avait préparée Bernadette : SANS AGRICULTURE PAS DE NOURRITURE

C’est vrai, sauf que la nourriture, c’est moi !

Je vais te parler un peu de moi

Je suis née le 5 mai 2009 sous le signe du Taureau. A peine née, on m’a enlevée à ma mère. J’ai été inséminée artificiellement, encore et encore. Bien sûr, comme à ma mère, on m’a enlevé mes petits pour me prendre mon lait, qui fait une excellent Comté (AOC) dit Roger. Je n’ai plus jamais plus entendu parler d’eux. Bientôt je prendrai le chemin de l’abattoir comme toutes mes sœurs, vaches à viande ou vaches à lait.

Excuse-moi de te parler des vaches, je suis bête : on est là pour défendre les éleveurs, pas pour s’apitoyer sur les vaches. Après tout, pourquoi se plaindre : ma vie est la banale destinée des animaux d’élevage.

Peut-être as-tu à la maison un chat, un chien ou même un lapin que tu câlines avec amour. Tu as vu que c’est un être sensible, capable de te donner de la tendresse, capable de te comprendre, d’éprouver de la peine ou de la joie, du bien-être ou de la souffrance. Comme toi et moi en somme ! La différence entre nous, c’est le groupe d’appartenance, comme disent les sociologues. Par exemple, pour simplifier, un chat appartient au groupe «animal familier», c’est une réserve de tendresse, une vache au groupe « animal d’élevage », c’est une réserve de nourriture et un homme au groupe « animal humain », c’est un consommateur.


Animal d'élevage (réserve de nourriture) - Animal familier (réserve de tendresse)

Selon les époques où les lieux, on peut changer de groupe : en Inde, par exemple, une vache est sacrée, ce n’est plus une réserve de nourriture. En Chine, on mange les chiens qui deviennent des animaux d’élevage. Jadis, tes lointains ancêtres se mangeaient parfois entre eux. Certains animaux, comme le lapin ou la poule par exemple, peuvent parfois s’inviter dans le groupe « animal familier », même si l’immense majorité reste des animaux d’élevage.

Tu me suis ? D’accord, c’est un peu compliqué, même en simplifiant.

Assez de discours, revenons à la manif

Tu as compris que Roger est un animal humain en colère qui exhibe son gagne-pain (c’est moi) dans les rues de Paris pour dire aux Français (aux consommateurs) : voyez cette belle vache, cette magnifique réserve de nourriture, si ça continue comme ça, vous n’en aurez plus !

Toi Mathias tu es dans le groupe des consommateurs. Les publicitaires aiment beaucoup les enfants : « les produits laitiers sont nos amis pour la vie ». Ou encore : « on n’a pas fini de vous faire aimer la viande ». Tu as sûrement entendu ces slogans. Aujourd’hui, c’est toi que les éleveurs veulent séduire, leur avenir dépend de toi. C’est pour toi qu’ils me font défiler à Paris sans me demander mon avis (manquerait plus que l’on prenne l’avis des vaches). D’ailleurs, tu aimes peut-être la viande, le fromage, les yaourts… Je n’ai jamais goûté, mais Roger dit que c’est très bon, surtout quand c’est Français bien sûr !


Les produits laitiers sont nos amis pour la vie, revu et corrigé par L214

Si tu montres cette lettre à tes parents, ils te diront probablement : « qu’est-ce que c’est que cette histoire ! Il faut bien se nourrir, on a toujours mangé de la viande, c’est notre culture, notre tradition, c’est indispensable à ta croissance, ça rend fort et puis c’est si bon un steak bien tendre, bien saignant. En plus, c’est bourré de protéines. Et si on ne mange plus de produits animaux, que vont devenir Roger et tous les éleveurs déjà bien mal en point ? » Ou encore : « assez de sensiblerie, il y a des problèmes plus graves que le sort des animaux d’élevage ! ».

Que peut-on répondre à ça ?

Je vais te confier un secret, ne le répète pas : cette lettre, ce n’est pas moi qui te l’adresse, je ne sais ni écrire ni parler la langue des animaux humains. J’ai demandé l’aide d’un ami, Véganou qui l’a écrite pour moi. Véganou c’est un humain comme toi, un frère, mon porte-parole. Un jour, j’ai croisé son regard, il a fait un pas vers moi, j’ai fait un pas vers lui. Il a décidé de ne plus consommer de produits d’origine animale. Il dit qu’il ne s’est jamais si bien porté que depuis ce jour-là. Au début, ses amis, ses parents ont trouvé ça étrange, stupide, ridicule, en un mot bizarre. D’ailleurs, il est bizarre Véganou, il parle aux vaches, c’est tout dire. Certains disent même qu’il est devenu « vachiste » comme d’autres se disent humanistes. Véganou n’aime pas que l’on dise ça. Il est certain qu’un jour tous les humains feront comme lui, que ce n’est pas seulement un choix personnel. J’espère qu’il ne se trompe pas et que ce jour ne sera pas trop lointain, car en attendant on va continuer à massacrer les animaux d’élevage. Sais-tu, pour finir, que chaque seconde, 1090 animaux sont abattus sur notre belle planète ?


Fragment de Joséphine, vache à viande et à lait, abattue à l’âge de 5 ans, aux prises avec un consommateur anonyme

Bon, je te quitte Mathias. Roger commence à se demander ce que je fais. Il ne faut pas oublier que je ne suis pas là pour bavarder, écrire des lettres ou visiter Paris. Je suis là pour sauver l‘élevage français, nom d’une bête à corne !


Joséphine

Marianne : "prendre parti sans le goût de la vérité"

  • Article du Mercredi 3 juillet 2013

Lettre envoyée à l'hebdomadaire Marianne suite à l'article rédigé par Daniel Bernard intitulé Une Nouvelle famille idéologique : les Végétariens paru le 29 juin 2013 dans le numéro 845, en lecture ici.

Cher journal Marianne,

Un article sur le végétarisme dans un grand média français ! Enfin ! Un journal d'envergure s'intéresse à la question ! Je l'ouvre fébrilement, pensant y lire un traitement "de fond" sur ce sujet, je lis le premier paragraphe et le ton est donné ! Je tombe des nues !

Je continue malgré tout, pensant y trouver quelques nuances, pensant même, naïvement, que ce n'est que du "second degré" mais ma déception grandit !

Je me doutais que le végétarisme serait traité sous son aspect culinaire, culturel et environnemental certes ; mais je pensais qu'il aborderait, même superficiellement, la "question animale", ne serait-ce qu'en interviewant ceux qui ont fait ce choix pour des raisons philosophiques ou éthiques. J'esperais y voir figurer les noms des grands penseurs et théoriciens de la "question animale" comme Théodore Monod ou Albert Schweitzer, de philosophes comme Jérémy Bentham, Peter Singer, Elisabeth de Fontenay ou Florence Burgat, d'éthologues comme Mark Bekoff ou Boris Cyrulnik pour ne citer qu'eux...Ou même que serait fait simplement mention de penseurs moins connus qui rédigent les Cahiers antispécistes. Bref, à un véritable article traitant des divers aspects et motivations des végétariens qui est bien loin de se limiter à une affaire de silhouette ou de santé et qui dépasse même la simple question environnementale ! Ce choix touche à notre rapport à l'Autre, fut t-il "non-humain" et le végétarisme pose cette question.


Evolution of revolution de Hartmut Kiewert

Au lieu de cela, je ne trouve que mépris et arrogance dans le ton de l'article, des idées reçues en tout genre réduisant cette idéologie à une description totalement stéréotypée de parisiens parisiannistes bobos et nombrilistes qui se poseraient visiblement de faux problèmes. On nous parle de gens pratiquant le yoga, prenant soin de leurs muscles et de leurs corps, ne laissant pas la parole à ceux qui ont choisi d'être végétariens après avoir mené une vraie - et souvent longue - réfléxion sur ce qu'est véritablement "l'animal" et sur ce que notre culture en a fait. Les fondements de l'éthique n'ont rien à voir avec des gens qui se sentiraient supérieurs et "feraient la morale" comme un personnage sorti d'un roman de la comtesse de Ségur.

Oui, le nombre de végétariens augmente mais il n'est pas encore venu le moment en France où un journal à grand tirage saura aborder cette question sans la railler.

J'ai peu d'espoir, étant donné le ton de l'article, que vous preniez la peine de publier ma réponse dans le prochain numéro. C'est une vraie déception pour moi que Marianne, que j'apprécie par ailleurs, puisse traiter d'un tel sujet de cette manière !

Christine, militante pour les animaux et adhérente L214

Dimanche 16 juin, tous à la ferme !

  • Article du Vendredi 21 juin 2013

C'est dimanche matin, j'ouvre Ouest-France en buvant ma tasse de café et découvre qu'un élevage à 1h de la maison ouvre ses portes dans le cadre de l'action de com' de la filière agricole. Endimanchée, je saute dans l'auto pour aller voir de plus près les cochons bretons.

Je pensais y voir une demi-douzaine de personnes à tout casser... mais quelle surprise en arrivant ! Il y a au moins 60 voitures et pas de la petite Twingo que de la grosse familiale !

Un gars en gilet jaune fait même la circulation, je me gare dans un champ comme au fest-noz. Je marche un peu dans les ornières et un autre gars, vêtu d'un tee-shirt rose fuchsia imprimé Changeons de regard sur l'élevage de porcs, m'accueille « Bonjour, Madame, bienvenue ! ».

La visite va commencer

Je me rends à une table où je dois indiquer mes coordonnées, on me remet une tenue complète : chaussons, charlotte et blouse jetables.
Un gars de l'association Agriculteurs de Bretagne fait un speech sur l'utilité du lisier comme engrais, bla bla bla.
Hop, j'intègre un groupe de 25 personnes composé d'enfants et de parents armés d'appareils photo pour prendre chéri-chéri à coté des cochons enfermés, bref...

C'est un élevage de truies gestantes et de porcs à l'engraissement de taille moyenne.

1er bâtiment : Alimentation, il font leur propre mélange sur place, au menu : soja du Brésil et céréales.

2e bâtiment : C'est la maternité, c'est-à-dire des truies allaitantes en stalle avec leurs petits, moment très attendu par les enfants. Je demande : « J'ai cru comprendre qu'il y avait une nouvelle loi pour les truies, c'est quoi exactement ? » l'éleveur répond : « Depuis le 1er janvier 2013, les truies doivent être placées en box 3 semaines après l'insémination et remises en stalle 1 semaine avant la mise-bas, avant elles étaient en stalle tout le temps. Il a fallu faire des travaux, nous verrons ça tout à l'heure ».

On visite, chacun fait son p'tit tour. Il y a une fiche suspendue par animal, sur l'une d'entre elles est inscrit « écrase ses petits », je dis : « Pourquoi c'est écrit "écrase ses petits" ? ». Il répond : « Lorsque la mère s'allonge il peut y avoir un petit en-dessous alors il meurt étouffé, c'est la principale cause de mortalité des porcelets » Gloups.

Les enfants regardent, les parents les surveillent des fois qu'une truie s'échapperait... Les enfants prennent les petits cochons dans les bras, les mamans prennent les photos, c'est tellement chou... J'interroge : « À ce qu'il paraît on castre les porcelets, j'ai du mal à y croire, c'est vrai ? » Il répond un peu gêné : « Les cochons développent 2 hormones qui, s'ils ne sont pas castrés, dégagent une forte odeur à la cuisson et ça incommode le consommateur » mais rassure en nous affirmant que la castration dure seulement 2 secondes et qu'en 2015 cette pratique s'arrêtera.

J'aperçois un jeune père de famille scotché à une vitre derrière laquelle se trouvent des truies entravées avec leurs porcelets nouveaux-nés.


Truie allaitante en stalle - entravée pendant 1 mois

On passe dans la fameuse salle « bien-être ». Les truies sont donc enfermées dans des cases collectives par groupe de 6 voire 7 individus.

Trois personnes demandent : « Pourquoi sont-elles griffées, abîmées ? » Il nous explique que depuis que les truies vivent en groupe pendant la gestation, elles se battent car il y a des dominantes et des dominées, parfois elles perdent même leur portée voire elles se cassent les pattes.
Je dis : « Oh ! C'est quoi la chaîne suspendue au fond de chaque box ? » « C'est Bruxelles qui nous demande ça, c'est un jouet pour les occuper, moi je trouve ça un peu débile » répond l'éleveur.

Le jeune père de famille regarde immobile les truies et demande à l'éleveur : « Mais à quel moment elles vont dehors ? » « Le jour où le camion arrive » lui balance-t-il (ndlr : le camion qui va à l'abattoir). Je vais le voir discrètement et lui dis : « Ça ne donne plus envie d'en manger, hein ?! ». On papote un peu et j'ajoute tout bas : « Et vous savez qu'ils leurs rognent les dents et leurs coupent la queue ? ». Il découvre tout ça et semble dégoûté.


Truies en loge collective - normes 2013

On rentre dans une autre salle où on nous présente le verrat, un gros pépère enfermé qu'on fera passer devant les truies déjà en stalle pour que l'éleveur sache à quel moment elles sont prêtes à être inséminées... J'entends quelqu'un lancer « Même le verrat n'a pas droit à sa part belle ! ». Bah oui les truies sont toutes inséminées artificiellement.

3e bâtiment : post-sevrage avant engraissement, des jeunes cochons en groupe toujours enfermés, placés sur un sol bétonné. Les enfants leur tendent les bras mais ils se réfugient tous au fond du box, paniqués. Je glisse à l'oreille d'une petite fille : « Tu leur fais peur ! » elle s'en rend compte et arrête.


Jeunes cochons en box bétonné

4e bâtiment : engraissement comme les jeunes cochons mais ils sont plus grands. Ce bâtiment se termine sur un couloir bétonné en plein air avec des douches. C'est là que les cochons et les truies attendront entre 1h et 6h le camion pour l'abattoir.

Triste journée

L'ambiance générale n'avait rien de joyeux... ça ne ressemblait pas à une visite guidée de musée. Au fur et à mesure l'ambiance était de plus en plus lourde. Les cases « bien-être » et les truies en stalle attendant d'être inséminées, ça a bien plombé.

Un dimanche pas comme les autres, les Bretons ont pu voir l'envers du décor, ceux qui ont eu le courage d'affronter le regard d'une truie ne verront certainement pas de la même façon leur tranche de jambon ou leur merguez grillée, du moins, pendant quelque temps...

Anonyme