De l’élevage de chèvres à la fondation d’un sanctuaire pour animaux

  • Article du Dimanche 6 avril 2014

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Par Cheri Ezell-Vandersluis, co-fondatrice du Maple Farm Sanctuary

 

Laissez-moi tout d’abord vous dire que j’ai toujours aimé les animaux, mais que j’ai grandi dans une société qui les traite comme des possessions, des biens – le monde du steak-frites. J’ignorais totalement que la chair que je consommais provenait de vaches aux grands yeux et d’innocents poulets plein de plumes. Et quand je me suis rendu compte que je voulais travailler avec les animaux, cela m’a pris du temps et plusieurs leçons de vie avant de trouver un travail qui leur soit réellement favorable.

 

Ma première prise de conscience arriva alors que j’étais employée par un fabricant pharmaceutique, à la fois comme technicienne en histologie (études des tissus biologiques, ndlr) et comme – tenez-vous bien – technicienne de salle d’autopsie. On m’assura que cette recherche était bénéfique pour l’humanité, et le meurtre des animaux était appelé « sacrifice ». Dans le registre dans lequel nous inscrivions les résultats des autopsies, on ne tuait personne, on « sacrifiait des numéros ».

 

Je me souviens, peu après avoir commencé ce job, aller à l’endroit où on encageait les chiens – de mignons petits beagles –, où on leur administrait systématiquement des composés tels que des accélérateurs de croissance, des antibiotiques, de la dopamine, et une multitude d’autres substances encore. Je leur parlais, les caressais à travers les barreaux des cages, tout en regardant dans leurs yeux pleins de confiance. Je ne le fis que quelques jours avant d’être prise et réprimandée pour ce comportement. On m’expliqua que les animaux de tests ne devaient avoir aucun contact humain autre que ceux destinés à les nourrir, les nettoyer, les examiner et leur administrer divers composés car tout témoignage d’affection provoquerait chez l’animal une volonté de vivre et affecterait négativement leur réaction aux substances testées. J’essayai de vivre avec cette justification pendant à peu près quatre ans avant de démissionner. Ma vie de découverte avait commencé.

 

Mon emploi suivant fut dans un aquarium. Et alors que nous étions beaucoup à adorer les animaux et à prendre soin d’eux, nous travaillions pour des gens qui les exploitaient pour s’en mettre plein les poches. Mon poste consistait à nourrir et à surveiller l’état de santé des milliers de poissons et des quelques mammifères marins, à m’assurer de la qualité de l’eau, à aider le personnel à s’occuper des mammifères et à les assister dans les autopsies.

Quand l’aquarium reçut quatre dauphins, je me sentis privilégiée de pouvoir nager avec eux durant leur ajustement à la captivité. Mais un mauvais jugement de la part du management ruina cette vision. Un bassin annexe, séparé du bassin principal, était divisé en quatre sections. Ces sections étaient utilisées pour maintenir les dauphins séparés, une forme de punition pour ne pas avoir réalisé correctement un numéro devant les clients spectateurs. Tandis que chaque section était entourée d’une tuyauterie en métal, elles étaient séparées l’une de l’autre par du filet en nylon. Les dresseurs essayèrent d’avertir le management qu’un accident finirait par se produire, mais ils ne furent pas écoutés.

 

Un matin très tôt, j’entendis les cris aigus des dauphins. On ne parle peut-être pas le même langage, mais l’angoisse, la tristesse et la frustration sont facilement traduisibles. Un des dauphins mâles s’était pris le nez dans le filet et, en essayant de se libérer, il l’avait emmêlé davantage et était resté coincé sous la surface de l’eau. Dans la nature, si un dauphin est malade ou blessé, les autres lui viennent en aide et le poussent à la surface pour qu’il puisse respirer. Dans cette situation de captivité, les autres dauphins avaient seulement pu regarder leur compagnon se noyer lentement.

Un de mes collègues et moi plongeâmes avec un couteau en espérant couper les mailles du filet, mais elles s’étaient tellement resserrées autour du nez du dauphin que l’on ne put l’en défaire. Nous ne pûmes que découper le filet tout autour et ramener à la surface son corps sans vie. Peu après, le dauphin fut remplacé par un autre capturé en mer, le filet fut remplacé par un grillage métallique, et le spectacle continua.

Je quittai l’aquarium par la suite et passai un peu de temps chez un graphiste avant de décider que j’allais devenir éleveuse de chèvres. Je rencontrai d’ailleurs mon mari, Jim, en récupérant des chèvres pour mon élevage. Il vendait ses vaches laitières et se préparait à élever des génisses de remplacement. Nous devînmes inséparables.

 

Un jour, j’entrai dans la grange pendant qu’il était à la traite et remarquai une génisse manifestement malade. Quand je lui demandai ce qui lui arriverait, il me répondit que malgré la maladie, la génisse serait vendue à un marchand de bétail puis revendue pour sa viande. À l’époque, j’avais un peu d’argent de côté et je le suppliai de me laisser m’occuper de la génisse malade. Il accepta à contrecœur. J’emmenai la génisse à la clinique vétérinaire de Tufts, où le vétérinaire commença à la transfuser et à lui donner des antibiotiques. Il me dit que si je l’avais laissée sans soins un jour de plus, elle serait morte. Quand elle fut remise, je la ramenai à la ferme où elle devint finalement une vache laitière.

 

Avec le temps, nos consciences ne nous permettraient plus de continuer à traire nos vaches dans le but de produire des produits laitiers. À la place, nous augmentâmes le nombre de nos chèvres et commençâmes à vendre leur lait. Cette activité présentait néanmoins un sous-produit gênant, et notre problème était « que faire de tous ces chevreaux ? »

 

Dans certaines communautés ethniques, c’est la tradition de manger de la viande de chevreau pendant les vacances de Pâques. Les personnes d’origines grecque et portugaise, qui avaient entendu parler de nous, nous accablaient pendant cette période. Nous pesions les chevreaux de 11 à 15 kg et les clients payaient. Les animaux étaient alors ligotés, attrapés comme des valises et littéralement jetés à l’arrière d’un camion ou d’un pick-up. Ces bébés me regardaient dans les yeux avec terreur et incompréhension. Jim et moi connaissions leur destin. Ayant été dans l’industrie laitière pendant toute sa vie, Jim avait essayé de m’endurcir. Nous ne pouvions pas garder tous les chevreaux, et peu de gens veulent d’une chèvre comme animal de compagnie.  

Souvent Jim et moi sommes restés à la porte en écoutant nos bébés chevreaux crier pendant qu’on les emmenait. C’est à l’un de ces instants que lui et moi nous sommes regardés avec les larmes aux yeux et avons commencé notre chemin vers une vie sans meurtre. Ce fut une période effrayante pour nous car le lait de chèvre et les chevreaux faisaient partie de nos revenus pour soutenir l’activité de la ferme.  

Nous partîmes en quête d’une personne pour nous aider à changer de voie et nous aider avec les animaux. Nous contactâmes PETA et je parlai à une personne merveilleuse qui me rassura, entre mes sanglots, que nous faisions le bon choix. Pour alléger la charge financière, on nous donna une liste de sanctuaires pour animaux de ferme à appeler qui pourraient éventuellement accueillir quelques chèvres. Après plusieurs appels à des refuges sans place disponible, nous trouvâmes OohMahNee. Les fondateurs Cayce Mell et Jason Tracy nous assurèrent que nous faisions effectivement le bon choix. Ca me faisait mal au cœur. J’aimais mes chèvres et devoir les abandonner fut difficile bien que je sache qu’elles seraient en lieu sûr. Après une longue réflexion, nous envoyâmes la moitié de notre troupeau aux sanctuaires OohMahNee et PIGs. Mes sentiments furent partagés ce jour-là, mais Cayce et Jason étaient mes anges gardiens et nous réconfortèrent pendant cette période de détresse.  

Aujourd’hui, Jim et moi avons adopté un mode de vie végane et possédons notre propre petit sanctuaire dans le Massachusetts, Maple Farm Sanctuary. Un endroit sûr et plein d’amour pour les animaux de ferme, où ils vivent le restant de leurs jours en paix, libres de vagabonder dans la prairie.

 

 

crédits photos :
- chien beagle  BUAV
- dauphin  lolilujah/creative commons
- vache : James / creative commons
- chevreau : James Nord / creative commons
- refuge : Maple Farm Sanctuary