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Braves Bêtes. Animaux et handicapés, même combat ?

  • Article du Vendredi 9 octobre 2020

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Et si les discriminations vécues par les personnes en situation de handicap et les oppressions subies par les animaux étaient liées ? C’est ce qu’affirme l’autrice américaine Sunaura Taylor dans Braves Bêtes, récompensé par l’American Book Award en 2018. Atteinte d’un handicap congénital, Taylor est à la fois artiste, militante et autrice de nombreux textes.

Dans cet ouvrage, prenant du début à la fin, elle explique que les animaux, comme les personnes vivant avec un handicap, sont victimes du validisme, idéologie qui érige certaines capacités physiques et mentales au rang de normes supérieures : marcher sur ses deux jambes, être pourvu d’un certain type de facultés mentales ou linguistiques, etc. 

Les animaux et les personnes en situation de handicap ne correspondent pas à ces normes et sont par conséquent perçus comme des êtres inférieurs, des individus de seconde zone. Il serait alors possible d’unir ces deux causes pour améliorer le sort des uns et des autres !

Le handicap, une construction sociale

Si les personnes ayant un handicap rencontrent des difficultés dans la société, Taylor précise qu’elles sont causées par l’organisation de nos environnements quotidiens et non par le handicap lui-même. Quand, par exemple, une personne en fauteuil roulant ne peut pas monter dans un bus car celui-ci n’est pas équipé d’une rampe, peut-on vraiment tenir le handicap comme responsable ? 

L’autrice opère également une déconstruction très efficace des représentations courantes du handicap. Loin d’être une déficience à surmonter, comme voudrait le faire croire le discours validiste, le handicap est pour S. Taylor une différence qu’elle entend bien valoriser comme une manière autre de savoir, d’exister et d’éprouver le réel. Selon elle, le handicap serait même « un art, un mode de vie ingénieux ».

Mais l’emprise du validisme est telle qu’elle dépasse en réalité les seules personnes en situation de handicap et s’étend à tous les corps, humains et non humains. 

Militants antispécistes et antivalidistes, unissez-vous ! 

Ce livre captivant explique que les animaux sont aussi victimes du validisme. Si ceux-ci subissent autant de violence, dénonce l’autrice, c’est parce qu’ils ne possèdent ni le corps ni le psychisme des humains « valides ». « On les juge incapables, dépourvus des facultés qui font, comme on l’a longtemps pensé, la valeur et le sens inégalés de la vie humaine. » Par conséquent, tous les animaux sont des « crips1 » !

S. Taylor explore ensuite avec minutie les différentes conséquences de ce validisme projeté sur les animaux. Elle montre par exemple que celui-ci renforce les discriminations que les personnes ayant un handicap subissent, notamment quand elles sont animalisées. C’est le cas de l’autrice dont la démarche était comparée à celle d’un singe par certains camarades d’école. Or, animaliser des individus humains, dit-elle, est un moyen de se décharger de toute obligation morale à leur égard. 

Un autre point de liaison identifié est que tous subissent la rhétorique du « naturel » : il serait naturel pour les humains de manger les autres animaux, il serait contre nature d’avoir une maladie mentale ou d’avoir besoin d’une béquille pour se déplacer… Voilà autant de présupposés qui renvoient en réalité à une certaine culture et à des représentations arbitraires de ce qui serait normal ou anormal.

Braves Bêtes est un livre passionnant qui propose une réflexion profonde venant bousculer les normes validistes et revaloriser ceux qui les subissent, humains et non-humains. 

 

Braves Bêtes. Animaux et handicapés, même combat ?, Sunaura Taylor, éditions du Portrait, 2019.

 


1. Terme par lequel certaines personnes en situation de handicap se désignent dans le milieu militant anti-validiste, et qui est une abréviation de cripple (qui signifie invalide ou infirme en anglais).