Bannière Braves Bêtes. Animaux et handicapés, même combat ?

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Et si les discriminations vécues par les personnes en situation de handicap et les oppressions subies par les animaux étaient liées ? C’est ce qu’affirme l’autrice américaine Sunaura Taylor dans Braves Bêtes, récompensé par l’American Book Award en 2018. Atteinte d’un handicap congénital, Taylor est à la fois artiste, militante et autrice de nombreux textes.

Dans cet ouvrage, prenant du début à la fin, elle explique que les animaux, comme les personnes vivant avec un handicap, sont victimes du validisme, idéologie qui érige certaines capacités physiques et mentales au rang de normes supérieures : marcher sur ses deux jambes, être pourvu d’un certain type de facultés mentales ou linguistiques, etc. 

Les animaux et les personnes en situation de handicap ne correspondent pas à ces normes et sont par conséquent perçus comme des êtres inférieurs, des individus de seconde zone. Il serait alors possible d’unir ces deux causes pour améliorer le sort des uns et des autres !

Le handicap, une construction sociale

Si les personnes ayant un handicap rencontrent des difficultés dans la société, Taylor précise qu’elles sont causées par l’organisation de nos environnements quotidiens et non par le handicap lui-même. Quand, par exemple, une personne en fauteuil roulant ne peut pas monter dans un bus car celui-ci n’est pas équipé d’une rampe, peut-on vraiment tenir le handicap comme responsable ? 

L’autrice opère également une déconstruction très efficace des représentations courantes du handicap. Loin d’être une déficience à surmonter, comme voudrait le faire croire le discours validiste, le handicap est pour S. Taylor une différence qu’elle entend bien valoriser comme une manière autre de savoir, d’exister et d’éprouver le réel. Selon elle, le handicap serait même « un art, un mode de vie ingénieux ».

Mais l’emprise du validisme est telle qu’elle dépasse en réalité les seules personnes en situation de handicap et s’étend à tous les corps, humains et non humains. 

Militants antispécistes et antivalidistes, unissez-vous ! 

Ce livre captivant explique que les animaux sont aussi victimes du validisme. Si ceux-ci subissent autant de violence, dénonce l’autrice, c’est parce qu’ils ne possèdent ni le corps ni le psychisme des humains « valides ». « On les juge incapables, dépourvus des facultés qui font, comme on l’a longtemps pensé, la valeur et le sens inégalés de la vie humaine. » Par conséquent, tous les animaux sont des « crips1 » !

S. Taylor explore ensuite avec minutie les différentes conséquences de ce validisme projeté sur les animaux. Elle montre par exemple que celui-ci renforce les discriminations que les personnes ayant un handicap subissent, notamment quand elles sont animalisées. C’est le cas de l’autrice dont la démarche était comparée à celle d’un singe par certains camarades d’école. Or, animaliser des individus humains, dit-elle, est un moyen de se décharger de toute obligation morale à leur égard. 

Un autre point de liaison identifié est que tous subissent la rhétorique du « naturel » : il serait naturel pour les humains de manger les autres animaux, il serait contre nature d’avoir une maladie mentale ou d’avoir besoin d’une béquille pour se déplacer… Voilà autant de présupposés qui renvoient en réalité à une certaine culture et à des représentations arbitraires de ce qui serait normal ou anormal.

Braves Bêtes est un livre passionnant qui propose une réflexion profonde venant bousculer les normes validistes et revaloriser ceux qui les subissent, humains et non-humains. 

 

Braves Bêtes. Animaux et handicapés, même combat ?, Sunaura Taylor, éditions du Portrait, 2019.

 


1. Terme par lequel certaines personnes en situation de handicap se désignent dans le milieu militant anti-validiste, et qui est une abréviation de cripple (qui signifie invalide ou infirme en anglais).

 


Bannière Chevaux mutilés : l’horreur est dans le pré

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Ces derniers mois, d’odieuses mutilations de chevaux défraient la chronique. Les auteurs en sont inconnus, tout comme leurs motivations, et les gendarmeries s’activent à éclaircir ces drames. 

 

Ils sont des dizaines à avoir été mutilés dans les prés, et plus d’une trentaine tués – des chevaux, des poneys, des ânes, des vaches, un taureau et un lama ont été récemment massacrés à travers la France. On ose à peine imaginer la terreur et les souffrances endurées par ces animaux, et on partage toute la douleur et l’inquiétude de leurs propriétaires, dont certains doivent affronter la perte de leurs chers compagnons, et qui sont en plus si démunis face à l’inconnu : qui sera le prochain sur la liste ? Qui sont les coupables et quels sont les mobiles qui les animent ? Actes sadiques, rituels sataniques, paris odieux... aucune hypothèse n’est écartée.

Les propriétaires d’équidés s’organisent comme ils peuvent pour protéger les animaux. Une carte localisant les mutilations a été établie, des rondes sont organisées, des caméras placées dans les prés, les animaux rapprochés des habitations.

Le gouvernement s’est saisi de l’affaire. Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture, indique que la brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et phytosanitaires est mobilisée1. Un portrait-robot a été dressé et plus de 150 enquêtes ont été ouvertes, dont 30 pour faits graves2 ; les gendarmes multiplient rondes et visites préventives. Le numéro vert d’une cellule d’accompagnement (0 800 738 908) a été mis en place, et des recommandations officielles sont diffusées par la gendarmerie, qui indiquent notamment de ne pas agir directement en cas de présence suspecte mais d’appeler le 17.  

Toutes ces mesures sont évidemment nécessaires, et on aimerait tous pouvoir faire tellement plus pour protéger ces animaux si vulnérables dans leurs prés. 

Cependant, comment ne pas songer aussi au sort de tous les chevaux, veaux et autres animaux anonymes tués en masse dans les abattoirs ? En France, environ 13 000 chevaux sont abattus chaque année. Plus de la moitié d’entre eux sont des chevaux de course réformés (jeunes chevaux non sélectionnés, chevaux blessés ou chevaux en fin de carrière). Dans les abattoirs, comme celui du Jura où nous avons enquêté en 2018, ceux qui résistent sont brutalisés à coups de bâton ou d’aiguillon électrique, puis tous ont le crâne perforé pour être « étourdis » – mais pas tués, puisque ce sont les battements de leur cœur qui les feront se vider de leur sang –, suspendus par une patte arrière et égorgés.

Et comment ne pas penser aux animaux égorgés à vif dans les abattoirs, aux canards gavés pour le foie gras, aux taureaux torturés dans les arènes pour le divertissement, aux cochons castrés à vif, aux poulets, aux lapins et à tous ceux enfermés à vie dans des cages minuscules ou des bâtiments obscurs, et qui se succèdent sans fin dans les abattoirs, tués à la chaîne, à raison de 3 millions chaque jour rien qu’en France ? Des millions d’animaux subissent ces tortures routinières, et aucune mesure n’est réellement prise pour mettre un terme même aux pires pratiques de l’élevage.

Comment, aussi, ne pas être frappé par le contraste saisissant qui existe entre d’un côté les efforts officiels heureusement déployés pour arrêter des tortionnaires en liberté, et de l’autre côté, l’énergie déployée, les arguments grotesques, le manque de courage politique pour maintenir des pratiques cruelles – mais légales – en particulier dans les élevages et les abattoirs ?

D’une certaine façon, le martyre des chevaux massacrés fait écho à celui que les animaux endurent par millions dans les élevages, les abattoirs, les arènes de corrida, les cirques, et tous les lieux où ils sont exhibés, exploités, torturés, traqués, tués.

Face à ces souffrances inutiles, nous avons tous le pouvoir d’agir. Nous pouvons, par exemple, choisir de réduire ou arrêter notre consommation de viande, ou interpeller nos élus. Les moyens d’agir pour les animaux sont nombreux : saisissons-les afin qu’ils aient une vie heureuse et paisible, la vie que chaque être sensible mérite d’avoir.

 


1. Julien Denormandie (@J_Denormandie), 25 août 2020. « Face à la vague ignoble de mutilations de #chevaux [...] » [tweet].
2. Agnan P., 8 septembre 2020. « Quel est le plan d’action de la gendarmerie pour lutter contre les actes de cruauté sur les chevaux ? », GENDinfo.fr.