Bannière Loi alimentation et « bien-être animal » : décryptage d'un enfumage

Loi alimentation et « bien-être animal » : décryptage d'un enfumage


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Le projet de loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous », issu de la concertation des États généraux de l’alimentation (EGalim) lancée en juillet 2017, a été adopté par l’Assemblée nationale le 2 octobre 2018. Il entrera en vigueur après la validation par le Conseil constitutionnel et la promulgation de la loi par le président de la République.

 

→ Texte définitif du projet de loi

 

Au cours du débat parlementaire, l’ensemble des mesures qui auraient pu être favorables aux animaux ont été rejetées par les députés. Un « avis défavorable » de l’ancien ministre de l’Agriculture, M. Stéphane Travert, et du rapporteur de la loi, M. Jean-Baptiste Moreau, a été émis pour tous les amendements visant soit à encadrer ou interdire certaines pratiques, soit à faire appliquer et renforcer la réglementation dans les élevages, les transports et les abattoirs.

Communiqué de presse
« Le gouvernement reste sourd aux attentes des Français »
(L214, 15 septembre 2018)

 

Le gouvernement, et une poignée de députés, coincés entre l’émergence de la condition animale dans le débat public et l’influence des lobbies de l’agroalimentaire, se sont efforcés d’entretenir la confusion, en laissant le soin aux interprofessions de poursuivre les démarches volontaires et non contraignantes déclinées dans les « plans de filières ».

 

Malgré un manque d’ambition assez flagrant, le gouvernement s’est attaché à présenter un bilan positif de la loi en matière de « bien-être animal ». Les citoyens ne manqueront pas d’y déceler une tentative d’« enfumage ».

→ Infographie, Alim’Agri, 2 octobre 2018

 

Décryptage des articles du chapitre dédié au « respect du bien-être animal ».

 

Pour chaque disposition :

 

 le texte

 ce qu’on nous dit

 ce qu’il en est

 le chiffre

 aller plus loin

 


 CHAPITRE II
Respect du bien-être animal

 « Le bien-être animal sera renforcé. »

 Après avoir renommé le chapitre « Respect du bien-être animal », les députés ont rejeté tous les amendements qui auraient pu amener des changements concrets pour les animaux. Un greenwashing institutionnel appliqué au « bien-être animal » ?

 Depuis mars 2018, 389 amendements ont été déposés au sein de l’article 13 (désormais chapitre II « Respect du bien-être animal »)


→ Amendement rédactionnel (Assemblée nationale, 19 avril 2018)
→ Communiqué de presse « Contrôle vidéo en abattoir, interdiction des cages, etc. amendements rejetés »  (L214, 20 avril 2018)

 


(AN 1) Article 67 13
I. – Le premier alinéa de l’article 2-13 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Après le mot : « infractions », sont insérés les mots : « prévues par le code pénal et aux articles L. 215-11 et L. 215-13 du code rural et de la pêche maritime » ;

 « Les associations pourront désormais se constituer partie civile sur les délits de maltraitance prévus au Code rural. »

 La possibilité pour les associations de protection animale de plus de cinq ans de se constituer partie civile (demander réparation) était jusqu’à présent limitée à certaines infractions prévues par le Code pénal, comme le délit d’abandon, les sévices graves, les actes de cruauté…

Désormais, le texte adopté par le Parlement élargit – un peu – cette possibilité aux infractions prévues par les articles L 215-11 et L 215-13 du Code rural et de la pêche maritime qui visent les délits de mauvais traitements commis par les professionnels (notamment dans les élevages, lors des transports et dans les abattoirs). Les associations pourront ainsi se constituer partie civile pour un nombre un peu plus étendu d’infractions commises à l’encontre des animaux.

Néanmoins, l’ensemble des contraventions du Code rural et de la pêche maritime qui sont poursuivies dans les procédures initiées grâce aux vidéos de l’association L214 restent exclues de ces nouvelles dispositions.

 
« Procès du couvoir Saint-François en Bretagne » (L214, 2016)
« Premier procès pour cruauté dans un abattoir français » (L214, 2017)
« Procès de Mauléon : la souffrance animale entendue » (L214, 2018)

 


 (AN 1) Article 67 13
2° À la fin, les mots : « prévus par le code pénal » sont supprimés.
II. – Le premier alinéa de l’article L. 215-11 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° Les mots : « de six mois » sont remplacés par les mots : « d’un an » ;
2° Le montant : « 7 500 euros » est remplacé par le montant : « 15 000 € » ;
3° Après le mot : « refuge », sont insérés les mots : « , un établissement d’abattage ou de transport d’animaux vivants ».

 « Le délit de maltraitance animale est étendu au transport et aux abattoirs, avec un doublement des peines. »

 Le Code rural considérait comme délit les mauvais traitements envers un animal dans un élevage, mais pas ceux subis par des animaux dans les transports ou à l’abattoir. La nouvelle rédaction met fin à cette incohérence mais reste insuffisante du fait que le délit de maltraitance n’est pas élargi à des pratiques sources de souffrances telles que les mutilations réalisées de manière routinière sur les animaux d’élevage (gavage, castration à vif, caudectomie des porcelets…).

Le doublement des peines est, quant à lui, bien peu dissuasif, et ce d’autant moins que les moyens de contrôle (vidéo ou par la surveillance continue) n’ont pas été renforcés en parallèle. Pour le député M. Olivier Falorni, dans ce texte, « c’est comme si le gouvernement prévoyait d’alourdir sévèrement les excès de vitesse, tout en supprimant tous les radars… » (Ouest-France, 30/01/2018).

Il convient également de se demander si le renforcement de l’arsenal répressif constitue un moyen de prévenir les infractions.

 88 % des Français considèrent que la protection des animaux d’élevage devrait être renforcée, selon l'Eurobaromètre 2016 (source : Commission européenne).

 
Cour des comptes, 2014.
Office alimentaire et vétérinaire européen (OAV), 2015.
Sénat, 2013.
Assemblée nationale, 2016.

 


 (AN NL) Article 68 13 bis A
La section 3 du chapitre IV du titre Ier du livre II du code rural et de la pêche maritime est complétée par un article L. 214-11 ainsi rétabli :
« Art. L. 214-11. – La mise en production de tout bâtiment nouveau ou réaménagé d’élevage de poules pondeuses élevées en cages est interdite à compter de l’entrée en vigueur de la loi n°     du pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
« Les modalités d’application du présent article sont définies par décret. »

 « La fin de l'élevage des poules en cage dans tout nouveau bâtiment. »

 Cette interdiction vise uniquement la construction ou le réaménagement de nouveaux bâtiments. Or aujourd’hui, il n’existe plus de nouvelles installations, puisque l’élevage en cage fait l’objet d’un rejet massif de la population : 90 % des Français refusent ce mode d’élevage et plus de 120 entreprises agroalimentaires dont les principales enseignes de la grande distribution, de la restauration collective et de l'hôtellerie ainsi que les plus importants fabricants se sont déjà engagés à exclure, d’ici 2025 au plus tard, les œufs issus d’élevages en cage. Le projet de loi ne fait donc qu’acter l’existant, seule une inscription dans la loi de l’interdiction des élevages de poules en cage serait susceptible de faire disparaître ce mode d’élevage particulièrement cruel.

 La pétition a déjà recueilli plus de 150 000 signatures.


Politique & animaux : les questions écrites d’une trentaine de parlementaires.
Communiqué de presse « Contrôle vidéo en abattoir, interdiction des cages, etc. : amendements rejetés » (L214, 20 avril 2018).
Liste complète des distributeurs et sociétés engagés à bannir les œufs de batterie.
Courrier des organisations de protection animale (11 avril 2018).

 


 (AN NL) Article 69 13 bis
Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de dix-huit mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport portant sur les évolutions souhaitables et les réalisations concrètes des volets relatifs au bien-être animal prévus par les plans de filière des organisations interprofessionnelles mentionnées à l’article L. 632-1 du code rural et de la pêche maritime.
Ce rapport s’attache à éclairer le Parlement sur :
1° La capacité de la spectrométrie, technologie de sexage in ovo, à proposer une alternative éthique, efficace et économiquement viable au broyage à vif des poussins, canetons et oisons pratiqué dans les couvoirs industriels ;
2° Les conditions de transports d’animaux depuis le territoire national à destination des pays membres de l’Union européenne et des pays tiers.

 « Le gouvernement remettra un rapport au Parlement sur le bien-être animal. »

 La remise de ce rapport était initialement destinée à évaluer les actions des plans de filières sur « les réalisations concrètes des volets relatifs au bien-être animal », cette disposition a été amendée pour être évaluée « au regard des objectifs fixés » par les interprofessions. Autrement dit, ce ne sont pas les autorités qui fixent les objectifs mais les filières elles-mêmes.

L’ajout à ce rapport de deux volets sur le transport et les alternatives au broyage des poussins a été voté en nouvelle lecture. Ces travaux entretiennent l’idée que le gouvernement se mobilise sur ces problématiques alors qu’elles sont déjà largement documentées et que des fonds ont déjà été débloqués en 2016 par l’ex-ministre de l’Agriculture Stéphane Le Foll.

 4,3 millions d’euros alloués en 2016 pour la recherche d’alternatives au broyage des poussins comme le projet Soo de l’entreprise Tronico.


 → Le transport des animaux (Dossier L214)
Plan d'action gouvernemental 2016-2020 en faveur du "bien-être animal" (archive Politique & animaux)

 


 (AN 1) Article 70 13 ter
La sous-section 1 de la section 1 du chapitre IV du titre V du livre VI du code rural et de la pêche maritime est complétée par des articles L. 654-3-1 et L. 654-3-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 654-3-1. – L’exploitant de chaque établissement d’abattage désigne, pour l’aider à assurer le respect des mesures de protection des animaux au moment de leur mise à mort et des opérations annexes, une personne responsable de la protection animale.
« Art. L. 654-3-2. – Chaque établissement d’abattage établit les procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel ou par des collaborateurs extérieurs et occasionnels régies par les I et II de l’article 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. »

 « Un référent bien-être animal sera présent dans chaque abattoir. »

 La désignation d’un·e responsable de protection animale (RPA) est déjà obligatoire dans les établissements d’abattage abattant au moins « 1 000 unités de gros bétail ou 150 000 volailles ou lapins par an ». La généralisation du contrôle interne des abattoirs par des employés formés à cet effet vise à pallier les insuffisances des services de contrôle de l’État.

Le RPA bénéficierait d’un statut de lanceur d’alerte. Mais, malgré cette protection juridique, il n’en demeure pas moins que ces ouvriers continuent à travailler, sont accaparés par leurs tâches quotidiennes et sont susceptibles de subir des pressions de leur direction. Par ailleurs, partant du principe qu’on ne peut être juge et partie, et sans préjuger de l’honnêteté des personnes, le simple fait que ces RPA travaillent dans l’établissement qu’ils sont censés surveiller nuit à l’objectivité des contrôles et n’empêche pas les comportements d’autocensure. Enfin, la formation RPA, telle qu’elle est aujourd’hui conçue, est purement théorique et donc peu appliquée aux cas concrets qui peuvent se produire sur le terrain.

Afin que le contrôle des mesures de « protection » des animaux soit efficace, il est indispensable que le RPA soit une personne qualifiée, indépendante, extérieure à l’abattoir et désignée par des associations de protection animale visées à l’article 2-13 du Code de procédure pénale.

 80 % des chaînes d’abattage présentent des non-conformités selon l’audit ordonné par le ministère de l’Agriculture en 2016, et ce malgré la présence de RPA dans la grande majorité d’entre eux.


 → Des responsables de protection animale dans les abattoirs, une solution contre la maltraitance ? (Le Monde, 31 mars 2016)

 


 (AN 1) Article 71 13 quater A
Dans un délai de six mois à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, à titre expérimental et sur la base du volontariat, pour une durée de deux ans, un dispositif de contrôle par vidéo des postes de saignée et de mise à mort, visant à évaluer l’efficacité des protocoles et l’application de la réglementation du bien-être animal, est mis en œuvre.
Un décret, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, précise les catégories d’établissements concernés, les procédés de mise en œuvre de ce contrôle vidéo, les modalités de recueil de l’avis conforme du comité social et économique ou, à défaut, des institutions représentatives du personnel, les modalités de maintenance, d’utilisation ainsi que les règles d’archivage et de mise à disposition et de recueil des données collectées par les enregistrements vidéo aux fins d’éventuels contrôles administratifs.

 « Des caméras pourront être installées dans les abattoirs. »

 La mise en place du contrôle vidéo se fera de manière expérimentale pour une durée de deux ans, dans les abattoirs volontaires. Présentée sous forme d’expérimentation, cette mesure non contraignante ne fait qu’inscrire dans la loi un dispositif déjà existant. Il y a peu de chances que les abattoirs qui étaient réticents à ce dispositif jusqu'à présent se portent désormais volontaires pour sa mise en œuvre. Par ailleurs, les vidéos ne seront pas publiques : un cas de mauvais traitement pourrait donc tout à fait être vu, filmé, mais ne faire l’objet d’aucune sanction, comme l’ont démontré les images de l’abattoir de Houdan qui était équipé d’un dispositif de contrôle vidéo géré en interne. Cette expérimentation ne semble avoir été votée qu’avec pour seul objectif de masquer l’absence de mesures concrètes pour limiter les souffrances des animaux dans les abattoirs. Pour avoir une chance d’être utiles, les caméras de contrôle doivent être installées sur les postes où les animaux sont manipulés vivants : déchargement, attente, amenée et mise à mort. Le contrôle des images doit être effectué par une autorité indépendante et transparente, comprenant une majorité de membres désignés par des associations de protection animale visées à l’article 2-13 du Code de procédure pénale.

 85 % des Français sont favorables à la vidéosurveillance en abattoir (IFOP, 2016).


 → Abattoirs, l'appel pour un contrôle vidéo : dans une tribune au Parisien – Aujourd’hui en France, ONG et personnalités demandent à Emmanuel Macron de tenir ses engagements en matière de protection animale.

 


 (AN 1) Article 72 13 quater
La deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 811-1 du code rural et de la pêche maritime est complétée par les mots : « et à la sensibilisation au bien-être animal ».

 « La sensibilisation au bien-être animal dans la formation des agriculteurs. »

 L’introduction de la sensibilisation au bien-être animal au sein des programmes d’enseignement des formations agricoles, accompagnée de la création d’une chaire partenariale bien-être animal à l’établissement VetAgro Sup (Lyon), vise à répondre à l’absence de contrôle vidéo dans les abattoirs. Une disposition largement insuffisante pour répondre aux enjeux éthiques autour de la condition animale et qui ne remet nullement en question le programme de l’enseignement agricole actuel qui reste principalement basé sur la promotion de l’élevage intensif.

 → Stéphane Travert visite le campus vétérinaire de VetAgro Sup (Alim’Agri, 5 octobre 2018)

 


 (AN NL) Article 73 13 quinquies
À titre expérimental et pour une durée de quatre ans à compter de la publication du décret prévu au dernier alinéa du présent article, des dispositifs d’abattoirs mobiles sont expérimentés dans l’objectif d’identifier les éventuelles difficultés d’application de la réglementation européenne.
L’expérimentation fait l’objet d’une évaluation, notamment de sa viabilité économique et de son impact sur le bien-être animal, dont les résultats sont transmis au Parlement au plus tard six mois avant son terme. Cette évaluation établit des recommandations d’évolution du droit de l’Union européenne.
Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article.

 « Les abattoirs mobiles seront expérimentés pendant quatre ans. »

 Déjà expérimenté à l’étranger, l’abattage à la ferme ne répond pas aux exigences éthiques, sanitaires, écologiques ou économiques. Cette pratique évite des souffrances aux animaux au cours du transport de l’élevage à l’abattoir, mais elle ne garantit pas un recul de la cruauté au moment de la mise à mort et nécessite un investissement important.
Au fil de nos enquêtes, dans le rapport de la Commission d'enquête sur les conditions d'abattage des animaux de boucherie et ceux de l'Office alimentaire et vétérinaire européen, dans les inspections réalisées en avril 2016 par le ministère de l'Agriculture, les carences des services vétérinaires ont été mises en lumière. Rien ne dit que des vétérinaires seraient affectés à des contrôles dans les abattoirs mobiles. Tuer les animaux à la ferme rendrait les contrôles encore plus difficiles.

 2 millions d’euros, c’est l’investissement minimal nécessaire pour mettre en place un tel dispositif (Le Monde, 20 septembre 2016).

 
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